Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 20.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en argumens bons ou mauvais pour se démontrer à lui-même qu’il avait raison et pour écarter toutes les mesures qu’on lui proposait. Le conseiller de cabinet Lombard écrivait un jour à Hardenberg : « Le roi. est inquiet, comme toujours dans les temps de crise. Par un contraste singulier, il a alors, avec un attachement invincible à son idée, le besoin d’écouter tout le monde. » Il écoutait, mais il n’en faisait qu’à sa tête. Au reste sa façon de consulter était particulière et peu propre à encourager la franchise. Lorsque les Français se permirent d’enlever nuitamment près de Hambourg le chargé d’affaires anglais Rumbold, qui était accrédité auprès de Frédéric-Guillaume III, ce rapt d’ambassadeur le scandalisa justement. Il écrivit au comte Haugwitz : « J’ai demandé satisfaction à Bonaparte de la lésion de la neutralité ; s’il ne l’accorde point, que doit faire la Prusse ? . » Il y a plusieurs personnes qui votent en faveur de la guerre, moi pas. » Ce moi pas était significatif, remarque Hardenberg, et le roi l’avait souligné de sa main.

Ses ministres n’étaient que des commis, qui, dans mainte circonstance, avaient peine à l’approcher et en étaient réduits trop souvent à lui adresser des mémoires écrits. Des mesures importantes étaient prises sans qu’ils en eussent connaissance. Les seuls confidens intimes du roi étaient les conseillers irresponsables dont se composait son cabinet privé et qui s’arrangeaient pour être toujours de son avis. Ils se permettaient quelquefois de communiquer et de traiter directement avec les envoyés des puissances à Berlin. On peut juger de la complication que cela mettait dans les affaires ; mais cette complication plaisait au roi, et à peine lui suffisait-elle ; ce malade avait le goût des maladies compliquées. Hardenberg avait pris l’intérim des affaires étrangères ; quand expira le congé du comte Haugwitz, le roi les pria l’un et l’autre de rester en charge, il lui convenait d’avoir deux ministres des affaires étrangères. Hardenberg refusa obstinément cette moitié de portefeuille qu’on lui offrait ; il n’en demeura pas moins ministre occulte par la volonté de son souverain. A l’insu du comte Haugwitz, il eut la conduite. des négociations importantes qu’on venait d’entamer avec la cour de Saint-Pétersbourg ; il communiquait avec le roi par l’entremise du directeur des postes, et quand il avait besoin de le voir, il obtenait des audiences secrètes dans les appartemens de la reine. L’Europe n’a revu depuis rien de pareil, elle a vu toutefois quelque chose d’approchant.

On a dit de Napoléon III qu’il avait pratiqué jusqu’au bout le gouvernement personnel, mais que dans les dernières années de son règne il n’y avait plus personne. On a dit aussi qu’après avoir été son propre médecin, s’étant trompé dans plusieurs cas d’une incontestable gravité, il s’était pris à douter de lui-même et s’était abandonné aux empiriques. Frédéric-Guillaume III était quelqu’un ; la preuve en est qu’il a grandi dans le malheur et qu’ayant appris à douter de lui-même, il s’est livré non aux empiriques, mais à d’excellens médecins, qui ont