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énergie les moyens de remplir les obligations de celle qu’on aura choisie. Je crois que plus que jamais les demi-mesures, l’indécision, l’espoir de se tirer facilement des difficultés toujours renaissantes, conduiraient l’état à une ruine certaine. » Quelques mois auparavant, Joseph de Maistre écrivait de Saint-Pétersbourg à son roi : « Il faut que la Prusse prenne garde à elle ; jamais puissance ne se trouva engagée dans un pas plus difficile ; placée entre deux puissances formidables, vulnérable de toutes parts, mais surtout par la Pologne, le parti qu’elle prendra peut décider de son existence. Le plus dangereux sera celui de tergiverser, et c’est probablement celui qu’elle choisira. »

L’homme qui tergiversait, c’était le roi, moins par faiblesse de caractère que par système et de parti-pris. La neutralité à outrance était sa devise, et la tergiversation était chez lui un principe, un procédé de gouvernement ; il était le plus méthodique et le plus obstiné des irrésolus. Les mémoires de Hardenberg nous le montrent sous un jour nouveau. On a vu trop souvent dans Frédéric-Guillaume III un homme sans volonté, gouverné par les conseils et par les passions des autres, entraîné tour à tour par des courans contraires ; on l’a représenté subissant tantôt l’influence du comte Haugwitz, qui cherchait à l’engager avec la France, tantôt celle de Hardenberg, qui le poussait dans les bras de la Russie. Ses sujets eux-mêmes le jugeaient ainsi ; au mois d’avril 1806, il parut à Berlin une caricature où on le voyait entre ses deux conseillers, dont l’un lui présentait une épée, tandis que l’autre, le tirant par la basque, lui glissait dans la main un bonnet de nuit. Un fait cité par Hardenberg prouve combien Frédéric-Guillaume III dépendait peu des conseils de ses ministres. Quand les Français, au mois de juin 1803, s’emparèrent du Hanovre sous le commandement du général Mortier et occupèrent non-seulement le cours du Weser, mais les bords de l’Elbe et Cuxhafen, l’empereur Alexandre proposa au roi de Prusse de signer avec lui une convention militaire en vertu de laquelle ils auraient fait avancer une armée sur l’Elbe et sommé les Français d’évacuer leur nouvelle conquête, Malgré les sympathies françaises qu’on lui attribuait, le comte Haugwitz appuyait chaudement ce projet ; toutes ses sollicitations ne purent triompher de la résistance du roi, qui bientôt après se rendit à Ansbach. Hardenberg était le seul de ses ministres qui s’y trouvât avec lui ; le roi ne daigna ni prendre ses avis, ni le mettre au fait, et il déclara, par un ordre de cabinet, qu’il resterait fidèle à sa politique d’isolément ; et qu’aussi longtemps qu’un de ses sujets n’aurait pas été tué sur le territoire prussien, il se tiendrait à l’écart de toute querelle.

Sans doute Frédéric-Guillaume III aimait à consulter, il consultait tout le monde, il avait même la manie des conférences, et il s’ensuivait que d’habitude ses secrets étaient mal gardés ; mais son parti était toujours pris d’avarice. Cherchait-on à l’en ramener, il était inépuisable