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les fumeurs ; puis le chant recommence, toujours entrecoupé de musique, sans que ni le chant, ni la musique, ni le hachich ne paraissent lasser personne, jamais je n’oublierai ce spectacle, qui, dans un coin obscur des bazars tumultueux de Damas, à la lueur d’une lampe fumeuse, au son du tambourin et de la guitare à trois cordes, m’a fait comprendre un des côtés de l’Orient.


II

On pourrait presque dire que l’opium est au hachich ce que l’Océan est à la Méditerranée. Le hachich n’est guère connu que sur la côte syrienne et dans la Basse-Égypte, tandis que sur les immenses rivages du Pacifique et des mers de Chine, le commerce de l’opium a pris une extension effrayante. Ce qui nous importe plus encore, à nous Européens, c’est que l’opium est de tous les médicamens le plus précieux et le plus employé, et que, suivant la parole du vieux Sydenham, si on ne possédait l’opium, il faudrait renoncer à la médecine. Sans vouloir entreprendre l’étude complète de cette substance, nous allons rapidement en décrire les effets sur le système nerveux.

L’opium est le suc du pavot, et comme il y a plusieurs variétés de pavot, il y a aussi plusieurs variétés d’opium ; mais c’est toujours de la même manière qu’on le récolte. En Égypte, en Syrie ou dans l’Inde, les trois pays où se fait la culture de l’opium, on pratique des incisions demi-circulaires multiples à la capsule du pavot, et on recueille avec soin le suc qui s’en écoule. Ce suc, desséché au soleil, noircit, s’épaissit, et prend la forme d’une pâte brune, consistante, qui est l’opium. Ce que l’on appelle le laudanum est une solution de cet opium dans un vin composé. Aussi les propriétés du laudanum et de l’opium sont-elles semblables. On doit les considérer comme un mélange de plusieurs corps ayant des propriétés analogues, mais non identiques. Depuis Derosne (1804) et Robiquet (1817), qui ont isolé les premiers la narcotine et la morphine, les chimistes ont étudié avec le plus grand soin les différens composés chimiques mélangés dans l’opium. C’est ainsi qu’on a découvert la codéine, la narcéine, la thébaïne, la papavérine, et d’autres substances encore, qui sont toutes des bases, c’est-à-dire des corps capables de s’unir à des acides pour former des sels cristallisables, et qui, au point de vue chimique, sont probablement des ammoniaques composées extrêmement complexes.

Ces différentes bases n’agissent pas sur les fonctions organiques de la même manière ; Ainsi la puissance soporifique de la narcotine est presque nulle ; on peut ingérer jusqu’à 2 grammes de cette substance sans en éprouver d’effets sensibles, tandis qu’un