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dont la beauté semble toujours faite de la réunion de ces trois qualités : la souplesse, la force, la santé. Il avait de grands yeux noirs, doux et audacieux, de longs cheveux bouclés, et, pour donner plus de vraisemblance encore à cette vision de l’antique, sa démarche et son costume rappelaient d’une façon frappante ces vers de Théocrite :


« Lycidas était son nom, son état chevrier ; — tout l’indiquait : la dépouille d’un bouc aux poils jaunissans et portant encore l’odeur du lait épaissi couvrait ses épaules, une large ceinture serrait son vieux manteau autour de ses reins, et sa main s’appuyait sur une houlette d’olivier sauvage. »


Il fallut reprendre la route après une demi-heure de repos ; le petit berger voulait nous conduire à l’église de son village, Klapatzouna, que les Achaïens vont parfois visiter ; si elle n’est pas grande et si l’architecture laisse à désirer, elle a du moins le rare mérite d’être creusée tout entière dans un tronc d’arbre : c’est un platane gigantesque qui abrite ainsi dans son sein l’officiant, l’autel et les fidèles. La légende lui attribue un caractère sacré ; chacun le respecte et le vante dans la province, et confond sous une même dénomination l’arbre et la chapelle, qu’il appelle église de la vierge au platane. Nous avons eu l’occasion de parler ici même d’un autre platane non moins célèbre qui servit de prison après 1821[1]. Un détour et le moindre retard auraient compromis le succès de notre excursion en nous exposant à nous voir refuser l’entrée du couvent dans la nuit ; nous dûmes poursuivre et presser notre marche en ligne directe, sous un soleil de plomb, trouvant cependant une distraction et un plaisir dans la compagnie de notre petit chevrier, qui dissipait par ses réflexions inattendues et toujours originales l’accablement que la chaleur faisait peser sur la conversation générale.

Avant le soir, nous commencions à descendre, et notre charmant compagnon nous quittait comme nous prenions un sentier qui domine d’abord une vallée profonde au fond de laquelle coule un maigre torrent. Nos chevaux, pressentant le terme du voyage, firent mine de hâter leur pas toujours égal jusqu’au moment où, s’arrêtant au milieu de l’eau qui nous mouillait les jambes, nous dûmes attendre qu’ils eussent bu et soufflé. Cette halte forcée était la dernière. Bientôt nous pûmes voir au-dessus de nos têtes se dresser Mégaspiléon, l’édifice le plus singulier, la construction la plus étrange que j’aie rencontrée. L’impression que nous

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1876.