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qu’on distingue vers l’ouest, à trois lieues d’Aigion, et dont on cherche aujourd’hui à reconstituer l’histoire. Les habitans l’appellent la Trapeza (table), parce qu’il est situé sur un plateau, au sommet d’une montagne élevée. On n’y trouve pas d’inscriptions, mais il subsiste un grand nombre de débris de marbre et une enceinte de murs de construction cyclopéenne. Un troupeau de chèvres paissait au milieu des ruines, quand nous le visitâmes un soir, au coucher du soleil ; le golfe de Corinthe, avec sa couronne de montagnes toutes colorées de teintes diverses, s’étendait à nos pieds, et ce merveilleux spectacle nous rappelait, pour la centième fois, quel soin religieux, quelle intelligente attention apportaient les Grecs à choisir la demeure de leurs dieux.

Ce n’est qu’après ces différentes promenades que nous résolûmes de faire tous ensemble l’excursion que j’avais projetée. Escortés de guides et d’agoyates, montés tant bien que mal sur les petits chevaux du pays, nous partîmes un matin en caravane, à la grande joie des habitans d’Aigion, tout émus de voir défiler à la fois tant d’étrangers dans leurs petites rues. Les femmes se mettent aux fenêtres ; les hommes, sortant de leurs maisons ou du café, nous saluent d’un « bon voyage » ironique ; les enfans courent autour de nous, les chiens aboient et mordent nos chevaux, qui se cabrent, jusqu’à ce que, sortis de la ville, nous atteignions, vers le sud-est, le village de Zevgalatio, que nous traversons, grâce à Dieu, sans éveiller une aussi vive curiosité. Ce petit bourg, à peine peuplé de 300 habitans, est un des plus riches d’Achaïe ; il rivalise avec Théméni, son voisin, pour la production des raisins de Corinthe, et il a sur celui-ci l’avantage d’offrir aux voyageurs fatigués par le soleil l’ombrage de ses vieux arbres, au pied desquels semblent enfouies de petites maisons. Zevgalatio est tout proche du torrent que j’avais si difficilement traversé pour aller à Taxiarque ; mais cette fois nous sommes plus près de la mer, et suivant notre route nous trouvons bientôt un pont sur lequel nous avons soin de nous engager en longue file, un à un, pour venir plus facilement à bout de nos chevaux, qui se défient des architectes de leur pays et font mine de rebrousser chemin. Les braves bêtes savent mieux que leurs conducteurs ce qu’est ce pont, étroit, long de 100 mètres environ, ondulé comme la lame d’une scie usée, sur lequel pareille cavalcade ne passe pas une fois l’an. C’était en effet le résultat d’un plan assez élémentaire ; une douzaine de piles, en galets du torrent, ont été élevées à la suite les unes des autres ; chaque pile est reliée à l’autre par un petit pont dont la voûte forme un angle obtus très prononcé. Le voyageur monte le premier versant de ce petit pont jusqu’au sommet, puis redescend pour gravir de nouveau la seconde