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pour les détourner d’une résolution qui est antipathique aux mœurs grecques, une famille toujours nombreuse, on concevra avec peine comment se recrute Pépélénitza.

Quelques habitans d’Aigion m’en ont pourtant donné plus tard une explication plausible : la plupart des calogria sont des paysannes ; jeunes filles qui renoncent à s’établir ou veuves sans famille, toutes viennent des villages, aucune ne sort des villes. Ce qui les attire, c’est à la fois le repos et une sécurité qui leur fait défaut dans la société où leurs païens les abandonnent. Celles qui sont depuis longtemps dans le monastère et qui se sont amassé quelque argent par leur travail, ou encore celles qui y sont arrivées avec une petite fortune, celles-là ont vraiment atteint leur but. Chacune se fait élever à son gré, sans qu’aucun règlement y mette le moindre obstacle, une maison qu’elle habite seule ou avec une autre calogria, si elle a pris une associée. Cette maison est complètement distincte des autres ; un jardin, un mur même l’en séparent, et la propriétaire peut à son choix frayer avec ses voisines ou vivre à l’écart, le plus souvent elle a des champs près du couvent, des vignes ou du coton qu’elle surveille et qu’elle fait valoir ; c’est sur ce revenu que vivent les calogriai qui sont arrivées sans ressources. Toute idée de charité mise de côté, les riches qui ont besoin de bras pour défricher, planter ou ensemencer leurs terres, pour en faire travailler et vendre le produit, ne pouvant s’adresser aux ergotès, qui sont le plus souvent des hommes, et qu’on paie relativement fort cher, prennent le parti d’engager à leur service ces compagnes misérables. On sait qu’en Grèce les femmes travaillent autant et mieux à la terre que les hommes ; les calogriai ont donc ainsi sous la main de bons ouvriers tout trouvés qu’elles admettent en proportion de l’ouvrage qui est à faire. De la sorte, une partie du couvent fait vivre l’autre, jusqu’à ce que la nouvelle génération, enrichie à son tour par son travail ou par des legs, jouisse d’un repos bien mérité en se faisant servir par d’autres novices.

J’avais à plusieurs reprises aperçu, avant d’arriver à Pépélénitza, comme des points bleus piqués au milieu des champs qui s’étendaient sur le versant de la montagne ; c’étaient ces mêmes travailleuses que je rencontrai en revenant à la maison de Panaioti. Elles s’étaient réunies pour le retour au coucher du soleil, et nous les voyions venir au-dessous de nous, marchant de distance en distance, deux à deux ou par groupes, courbées sous les sacs qu’elles portaient sur leur dos ; les plus vieilles ou les plus faibles marchaient en arrière sans se parler, sans d’attendre, et les plus valides passaient déjà devant nous que les dernières s’apercevaient