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me disait-il pendant que nous descendions ; il y a des manuscrits anciens que vous déchiffrerez peut-être, car moi je ne suis pas très savant. » Il me fit entrer dans sa chambre sur ces mots, que je croyais avoir mal entendus : moi, je ne suis pas très savant ! Un Grec, un moine, un granimateus, dire un pareil mot, se montrer modeste ! Certes celui-ci ne ressemblait à personne, et je pouvais m’attendre avec lui à plus d’une surprise. Je remarquai que, soit en grec, soit en italien, il mettait une certaine élégance dans ses paroles et choisissait ses expressions ; il ne se servait pas d’images pour exprimer des idées nouvelles, et sa langue n’avait pas la simplicité enfantine, quelquefois poétique, plus souvent grotesque, que j’avais trouvée chez Les autres caloyers (bons moines). Il savait la valeur des termes qu’il employait et parlait de temps à autre de choses qui dénotaient des connaissances sérieuses. Sa chambre était très propre et plus ornée que celle des autres ; il avait collé des gravures, des cartes modernes à côté d’images religieuses ; devant la fenêtre, une table en bois blanc tachée d’encre était couverte de livres et de papiers ; c’était la demeure d’un homme qui tenait à s’entourer de. Tout ce qu’il ne connaissait pas et qui voulait voir, du moins par L’imagination, ce que sa réclusion lui interdisait d’aller chercher. Je lui ils compliment de son installation et je ne lui cachai pas ma surprise. Il en parut charmé.

« Vous êtes bien heureux, reprit-il, vous retournerez, à Paris ; moi je n’irai probablement jamais. Je ne me plains pas d’être ici, puisque j’y fais ce que je veux, mais je suis très seul, et bien souvent l’ennui me prend, Je voudrais pourtant connaître un peu le monde par moi-même, je voudrais voyager. Il y a près de dix ans que j’amasse de l’argent ; peut-être un jour en aurai-je assez pour partir, mais ce sera bien tard. »

Et il me faisait mille questions sur le prix du voyage de Patras en France, sur le temps qu’on pouvait demeurer, à Paris en vivant petitement avec 1,000, 1,500 drachmes. « vous voyez ce plan de Paris, disait-il en me montrant une carte faite en 1856, je le connais comme vous ; voici la rue de Rivoli, la place de la Concorde, le fleuve, les ponts, » et il récitait par cœur les noms de toutes les rues qui aboutissaient sur la rive gauche de la Seine. — C’est à Paris, disait-il, que vont tous les étrangers, c’est là que sont les savans ; c’est là que sont les universités où l’on entre sans rien payer. On peut y apprendre toutes les langues et les parler, car chaque nation y est représentée par des voyageurs ; on peut lire des livres de toute sorte. Paris, reprenait-il en s’animant, il me semble que c’est une montagne d’où on découvre le monde entier.

Il s’interrompit un instant considérant le plan d’un œil plein de