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son gouvernement et sans confiance en lui-même. Nous en avons fait une triste et douloureuse expérience. Le silence imposé à la presse est aussi fatal au pouvoir qui l’impose qu’au peuple qui le subit.

La guerre civile terminée laissait le nord vainqueur, mais épuisé d’hommes et d’argent. La dette fédérale s’élevait à plus de 14 milliards de francs. En quatre années le gouvernement avait demandé au crédit plus de 13 milliards, sans compter les impôts. L’or était monté jusqu’à 285, c’est-à-dire que l’on donnait 285 dollars en papier-monnaie pour 100 dollars en numéraire. La ruine absolue du sud entraînait celle de nombreuses maisons de commerce, de banques et de particuliers du nord, créanciers des planteurs pour des sommes considérables et dont les créances ne reposaient plus que sur des ruines fumantes et un sol sans valeur depuis que l’émancipation des esclaves le laissait sans culture. Le pays était inondé de papier-monnaie, le numéraire avait disparu. A la fin de 1864, la circulation des greenbacks dépassait 3 milliards 1/2.

Le gouvernement et la presse abordèrent l’examen des questions financières avec la même liberté d’allures. Toutes les opinions se produisirent librement, furent examinées, discutées dans les journaux, et, quoi qu’on ait dit et pu dire de la corruption administrative aux États-Unis, il n’en est pas moins vrai qu’en quelques années le crédit fut rétabli sur des bases solides, et qu’aujourd’hui les fonds publics américains constituent un placement de premier ordre. Le cours du 5 pour 100 fédéral consolidé est de 105 à 108. Sans doute on peut relever à la charge de l’administration actuelle nombre de faits scandaleux. On a vu un ministre de la guerre spéculer sur les contrats, trafiquer de son influence. Il n’est pas le seul, et la presse américaine ne s’est pas fait faute d’étaler au grand jour toutes les plaies honteuses de l’administration ; mais il faut aussi tenir compte du droit qu’elle possède de tout dire, droit dont elle use et abuse. Pourtant les plaies dévoilées sont les moins dangereuses ; celles que l’on ignore ou que l’on cache par crainte du scandale n’en existent pas moins, et, comme un cancer dissimulé, elles s’étendent, se propagent et causent d’incalculables ravages.

En 1866, Bennett céda à son fils la direction de son journal. Nous avons vu qu’il avait débuté dans sa carrière d’éditeur avec 500 dollars (2,500 francs). Il se retira avec une fortune personnelle de vingt-cinq millions de francs. Un de ses amis lui demandait alors s’il était vrai, comme le bruit en courait, qu’il songeait à vendre le Herald. « Il n’y a pas de capitaliste à New-York assez riche pour l’acheter, » répondit-il. Il avait raison, et lorsque son fils en prit possession, l’estimation faite fut de 20 millions de francs.