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réponses énergiques et brèves aux questions qui lui furent posées impressionnèrent vivement la majorité, et le ministère, convaincu enfin que le droit de timbre ne pourrait être perçu que par la force, se décida à le supprimer.

Cette nouvelle fut accueillie en Amérique avec une joie dont les journaux se firent l’écho retentissant. Ils la célébrèrent comme une victoire personnelle. C’étaient eux que cet impôt menaçait surtout, c’étaient donc eux qui triomphaient. Après avoir vaincu pour leur compte il leur incombait, maintenant que leur existence était assurée, de revendiquer les droits communs, l’affranchissement du commerce des colonies et la consécration du principe posé par eux : « Pas de taxe sans droit de représentation. » C’était au nom de ce principe même que l’Angleterre avait fait sa révolution. Ses colonies d’Amérique s’en emparaient à leur tour et paralysaient sa force en ébranlant sa conviction dans son droit.

Organe des revendications populaires, la presse voyait son rôle grandir et son existence s’identifier avec celle des colonies. Elle avait combattu, pour, elle-même il est vrai, mais elle avait vaincu. C’était un journaliste, Benjamin Franklin, qui le premier avait fait entendre la voix de l’Amérique dans le parlement anglais, c’étaient les journaux qui ralliaient en un faisceau commun les volontés, les énergies et les passions. Ils portaient à la connaissance de tous les faits d’oppression, les actes de résistance, les excès de la soldatesque : ils prêchaient l’union, la confédération des colonies, signalaient les dangers de l’isolement et lançaient aux masses encore disséminées, mais déjà exaspérées, leur nouveau mot d’ordre : « Join or die, unissez-vous ou périssez. »

On les lisait, on les approuvait, et, le 5 septembre 1774, 53 délégués représentant les provinces, sauf la Géorgie, se réunissaient à Philadelphie. Dans cette réunion solennelle, qui décida des destinées de l’Amérique, Patrick Henry électrisa l’assemblée par son éloquence. On décréta la formation de compagnies de volontaires ; ils affluèrent, et dans toutes les colonies on se mit à fondre des balles, à fabriquer des cartouches, à exercer les hommes au maniement des armes. La presse, qui jusqu’ici n’avait été que l’écho des sentimens populaires, les devançait : elle indiquait le but à atteindre, les moyens d’y parvenir. Inconsciente encore de sa force, elle l’apprenait en s’en servant, et devenait une puissance en parlant au nom de toute une population dont elle allait être un des plus puissans instrumens d’affranchissement.

Nous sortirions du cadre restreint de ce travail, si nous suivions pas à pas les péripéties de cette lutte, qui devait aboutir le 25 novembre 1783 à l’évacuation des colonies américaines par les troupes