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droit dans ces bassins où les deux mondes échangent leurs richesses», tandis qu’asservi au Rhône il n’arrive à aucun port, pas même à une rade ; il n’aboutit qu’à une plage insalubre, déserte, sauvage.

Ainsi, à quelque point de vue qu’on examine la question, on en vient toujours à cette conclusion que l’entrepôt universel de Marseille doit être dans le sud la tête de ligne directe de nos voies navigables. Leur réseau débuterait donc par un large et profond canal aboutissant en un point où le cours du Rhône commencerait à se prêter aux améliorations nécessaires. Cette canalisation a déjà été projetée sous la restauration; elle aurait été incontestablement exécutée sans le discrédit momentané dans lequel la venue des chemins de fer a fait tomber l’œuvre utile des canaux. Il est urgent de reprendre ce projet, au nom du travail industriel qu’on doit secourir contre la concurrence étrangère par la réduction des prix de transport, au nom de nos intérêts commerciaux, menacés par l’imminente perte de la part du transit conservée jusqu’ici, au nom de la production agricole, qu’il faut sauver dans le Midi par de puissans arrosages. Comme nous l’avons dit, comme le prouvent de nombreux exemples, il n’est pas impossible de concilier les facilités de la navigation et les besoins de l’agriculture; c’est même seulement en réunissant ces deux intérêts, en utilisant l’eau à la fois pour la production et pour la locomotion que l’on peut obtenir un excellent résultat financier de ces coûteuses canalisations, qui paient difficilement l’intérêt des capitaux dépensés quand elles sont faites exclusivement en vue des transports.

L’examen du projet de M. Dumont nous montre d’abord un magnifique fleuve artificiel roulant son flot tranquille sur une longueur de 150 kilomètres, entre la dérivation faite à Condrieu et le bassin de retenue établi à Mornas. Son lit, large de 15 mètres environ et profond de 3 mètres, serait aussi bien approprié à la navigation que le meilleur de nos canaux, si quelques travaux d’art suffisans pour une rigole d’arrosage prenaient l’ampleur nécessaire à une voie navigable. La convenance à la navigation serait plus grande encore, si les dimensions en largeur et en profondeur adoptées dans le projet étaient augmentées de façon à assurer le débit plus considérable que nous avons reconnu si utile à l’agriculture. Ce canal mixte ne présenterait point l’inconvénient d’un excessif allongement, qui est reproché à beaucoup de canaux construits dans un double dessein. La montée des bateaux serait, il est vrai, gênée par le courant descendant; mais le bien absolu est irréalisable, et dans tous les cas, ce courant serait moins fort que celui que donnerait le Rhône barré, et surtout le Rhône endigué.

Le bassin établi à Mornas pour le fonctionnement du canal d’arrosage servirait de port de garage et constituerait une immense réserve