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provision d’eau. Cela est d’autant plus facile que le débit moyen de ce fleuve dépasse 400 mètres cubes à la seconde. En considérant que cet énorme flot roule à la mer d’immenses provisions de substances fertilisantes dont la valeur seule atteint les vingt ou trente millions que l’agriculture française consacre annuellement à l’achat d’engrais étrangers, en songeant à tant de ressources perdues pour une culture appauvrie par la stérilité naturelle du sol, on se prend à regretter la parcimonie avec laquelle le grand canal projeté s’alimente à ce fleuve sans utilité. C’est au moins 120 mètres cubes, comme pour le canal Cavour, que l’on devrait et pourrait dériver du Rhône, si tant est qu’on ne puisse lui prendre les sept huitièmes de ses eaux, comme les Anglais l’ont fait au Gange.

Le défaut d’abondance, constaté pour les arrosages d’été, se reproduit aussi pour les arrosages d’hiver. Il est vrai que ces arrosages sont peu pratiqués dans le Midi, alors qu’on en est très partisan dans le Centre, parce qu’ils sont favorables aux prairies, qu’ils protègent contre le froid par la tiédeur des eaux courantes ou par la couche de glace dont ils recouvrent le gazon.

Le canal ne donnant durant la période hivernale qu’un volume de 6 millions de mètres cubes pour l’emploi sur le sol, cette provision devra être réservée à la submersion des vignes. D’après les expériences réitérées de M. Faucon, une couche d’eau de 0m, 60, donnée graduellement à une vigne, doit suffire pour l’entretenir submergée en hiver durant un mois. Cela nécessite 6,000 mètres cubes d’eau à l’hectare. Cette dose est un peu faible. Le succès de l’opération exigeant la continuité de la submersion pour assurer la complète asphyxie de l’insecte, ce rationnement pourrait exposer à des mécomptes, s’il était rigoureusement observé. Il est donc prudent de disposer des réserves pour les vignobles.

Le prix de l’abonnement est de 63 francs par hectare, soit pour les arrosages d’été, soit pour les submersions d’hiver. Les souscripteurs recevront l’eau aux limites mêmes de leur patrimoine et n’auront d’autres frais que l’aménagement de leurs propres terrains. Une telle taxe semble modérée, si l’on considère la plus-value que les arrosages procurent à la rente du sol. Les terres soumises aux cultures sèches ne sont en général affermées dans le Midi que 50 fr. l’hectare, tandis qu’elles sont très recherchées à 150 et 200 francs lorsqu’elles deviennent arrosables. La taxe d’irrigation est plus élevée sur les canaux italiens, où elle atteint ordinairement le taux de 75 francs par hectare.

Quand nous aurons ce flot coulant à 50 mètres en moyenne au-dessus du fond de la vallée, la chute d’une partie de ses eaux créera sur son long parcours de 500 kilomètres une puissance motrice