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« venir veoir et consoller vostre bon parent et ami qui est fort ennuyé de l’extrême maladie qu’a eu sa femme, avec vos lévriers et aussy vos chevaulz et armes. » Eléonore écrit au maréchal de Montmorency, le 25 mai 1564 : « Mon flux de sang s’est cessé, mais non pas que nous soions bien asseurés qu’il soit du tout arresté et ne me reprenne plus. Ainsi me voilà toujours aux escoutes, attendant à ce qu’il plaira à Dieu m’envoyer et en déterminer. » Elle était si faible, qu’elle avait des hallucinations, elle entendait des voix ; une nuit, la voix lui dit intelligiblement qu’elle mourrait dans peu de jours et qu’elle s’y préparât. « Et tant s’en fallait que cela l’eût attristée, que toujours depuis elle avait désiré le poinct de cette saincte séparation. » On la portait d’un lit sur un autre ; elle cachait ses souffrances autant qu’elle le pouvait devant son mari. Elle se plaisait à lire les lettres que lui écrivait Pierre Viret. La fin de cette triste vie a été racontée jour par jour, dans une Épistre d’une damoiselle françoise à une sienne amie dame étrangère, sur la mort d’excellente et vertueuse dame Leonor de Roye, princesse de Condé, 1564. On ne peut analyser de telles pages ; il y a des livres qu’on lit moins pour y apprendre quelque chose que pour y trouver ou le souvenir d’une douleur passée ou la vision d’une douleur prévue. Mais figurons-nous un moment cette frêle jeune femme, à la figure encore presque enfantine, si pudique qu’avec peine elle permettait qu’on la pansât, sans cesse défaillante et ne revenant à soi que pour consoler ceux qui l’entouraient ou pour se répandre en prières, non de ces prières que la bouche retrouve en quelque sorte toute seule, des prières où s’élevaient les dernières lueurs de son esprit et se répandaient les dernières ardeurs de son âme : « Seigneur tout-puissant, puisqu’on tous les endroits de ce terrestre manoir, quoi qu’il soit grand et spacieux, et dont tu es créateur, je ne puis trouver par toutes mes diligences si petite place que ce soit propre à repos et vide de pointure, pour librement annoncer, comme je sentais, tes bontés et ta miséricorde, j’en quitte la demeure, le louage et le séjour pour retourner, s’il te plaît, en ce prochain terme, en l’acquit que tu m’as fait par la mort et la passion de ton fils bien-aimé. Rends, mon Dieu et père, par ce inoïen, mon esprit et mon corps tous deux contens et en paix : l’un, libre et manumis, allant à toi, que je vois desjà me tendre les bras, l’autre, restant insensible cà bas jusques à ce que tu le réanimes, au son de ton avènement. »

La princesse fit son testament et prit congé de ses enfans ; elle adressa les conseils les plus touchans à son fils aîné, le marquis de Conty, qui était déjà âgé de douze ans et capable de la comprendre. Le 23 juillet 1564, la princesse appela une de ses femmes