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mais minée par tant d’émotions et de fatigues, ne put résister au chagrin que lui causait la conduite de son époux. »

Le 4 juillet 1564, le cardinal de Châtillon écrivait à l’évêque d’Aqs[1] : « Je vous dirai aussi, quant à la disposition de Mme la princesse, qu’elle va diminuant de forces à veu d’œil, qui me garde de partir encore d’icy (de Condé), ne faisant qu’attendre l’heure bien souvent que Dieu la veuille appeler à soy, pour les grandes et estranges douleurs qu’elle souffre, qui la rend et ceux qui l’aiment si affligés que vous pouvez penser. »

La princesse s’était opposée de toutes ses forces au projet de mariage entre son fils aîné et la fille de son indigne rivale, la maréchale de Saint-André. Ce projet, déjoué par la résistance inattendue de la reine-mère et par la mort de Mme de Saint-André, elle avait paru un moment à la cour de Fontainebleau, cherchant peut-être à obliger son mari par sa présence à une conduite plus digne de lui ; elle y avait trouvé son amie, la duchesse de Ferrare : elle s’était retirée comme elle, parce que la reine leur avait signifié que là où se trouvait le roi l’exercice du culte réformé ne pouvait plus être toléré. Elle se rendit de Fontainebleau à Condé-en-Brie, qu’elle ne devait plus guère quitter. Elle y vivait avec les quatre enfans qui lui restaient, Henri, Marguerite, François et Charles. Elle alla un moment à Troyes soigner son mari, qui, après un exercice très violent, avait été « l’espace de huit jours travaillé d’un cothaire qui luy tomba sur le bras et lui a durant ce temps-là faict avoir bien aspres fièvre[2]. » Elle écouta à Troyes les plaintes des religionnaires et intervint en leur faveur auprès de Catherine de Médicis. Le ministre Perussel, qui avait assisté Condé pendant sa captivité et qui était devenu son chapelain, ne la quittait plus. Elle ne vivait déjà plus que pour Dieu.

Retournée à Condé, elle tomba si gravement malade, que Condé dut quitter la cour pour venir auprès d’elle. La princesse, épuisée par l’hémorragie, pâle de la mort future, comme dit le poète latin, l’esprit déjà plein de visions célestes, pouvait pardonner à l’homme faible, que le devoir et non l’amour ramenait à ses pieds. Pouvait-elle encore l’aimer ? Il est, hélas ! des choses irréparables, il est des pages que le destin tourne de son doigt de fer et qui ne peuvent plus se retourner. Condé était de ces natures violentes qui ne peuvent supporter la solitude, les longues heures passées au chevet d’un malade, les journées languissantes. A peine sa femme semble-t-elle avoir repris quelques forces, il écrit à Portien pour le prier de

  1. Pièces et documens, p. 549.
  2. Lettre de la princesse au prince de Portien.