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que ceste troupe fut suscitée et barée par un prestre malin, en haine de la religion. Or les feux des troubles commençaient à s’allumer, et de toutes parts on en voyait jà des estincelles! Geste fureur et rage populaire esmeut cette bonne dame de telle façon, qu’estant sur la fin du huitième mois, elle accoucha, le jour mesme, de deux fils, par frayeur et avant terme, au village de Gandelu, sans qu’elle eust le loisir de pouvoir gaigner aucune de ses maisons. Et peu de jours après, comme elle estait courageuse et active de son naturel, elle se mit en chemin pour aller à Orléans vers monseigneur son mari, où elle parvint à grandes et difficiles journées : car vous pouvez penser que les passages étaient jà occupés, et qu’il fallait user de ruse et s’exposer en dangers pour faire ce hasardeux voyage[1].

Orléans, le « nombril » de la France, était devenue la capitale protestante. Si les triumvirs avaient pu enlever à Fontainebleau et amener à Paris le jeune roi et la régente, Condé s’était fortement établi sur la Loire. La princesse trouva à Orléans, auprès de son mari, Coligny, Charlotte de Laval et leurs enfans, le comte de La Rochefoucauld, le prince de Portien, Téligny, La Noue, Soubise, Rohan, toute la grande noblesse protestante. Trois mois s’usèrent en vaines négociations : la princesse y fut quelquefois mêlée. Elle alla une fois elle-même trouver à Arthenay Catherine de Médicis, mais l’on ne sait pas exactement ce qui se passa dans cette entrevue.

La guerre commença. D’Andelot était allé chercher des secours en Allemagne. Les protestans se virent contraints de faire avec l’Angleterre le traité de Hampton-Court, qui livrait Le Havre aux Anglais jusqu’à la restitution de Calais. L’historien des princes de Condé n’hésite pas à qualifier ce traité de honteux marché. « Condé, dit-il, et Coligny essayèrent plus tard d’effacer la trace que ce traité inflige à leur mémoire ; ils prétendirent n’avoir pas connu la portée des engagemens pris en leur nom envers Elisabeth, et accusèrent le vidame de Chartres d’avoir outrepassé leurs intentions. » Orléans se préparant à un siège, Condé avait envoyé ses enfans en Allemagne; ils y furent conduits par leur grand’mère, Mme de Roye, qui prit le chemin de Strasbourg. La princesse, inquiète de leur sort, se félicita bientôt de les avoir fait partir : une peste affreuse éclata à Orléans, et le jeune fils de Coligny, Gaspard, du même âge que le marquis de Conty, en fut une des premières victimes. Pendant quatre mois et demi, la princesse de Condé, l’amiral et leurs amis prodiguèrent leurs soins aux malades. On allait des hôpitaux aux remparts, où les dames et demoiselles de la ville portaient la

  1. Théodore de Bèze, 12 avril 1562. (Béza ad Turicences et Bernates.)