Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il aurait pu arriver cependant que, dans ce mouvement général du commerce, certaines industries eussent été compromises et que la concurrence étrangère fût venue prendre sur le marché français toute la place autrefois réservée aux produits nationaux. Cette conséquence partielle semblait même inévitable, car la prohibition a le don de créer et de faire vivre des industries qui seraient incapables de naître et de subsister sous le régime de la concurrence, et qui sont condamnées à la mort certaine dès que la concurrence apparaît. Que de ruines n’avait-on pas prédites lorsque l’enquête de 1860 eut à préparer les nouveaux tarifs ! Combien d’usines allaient être fermées, de capitaux anéantis, d’ouvriers laissés sans travail ! On devait craindre qu’il n’y eût quelque part de vérité dans ces prédictions évidemment exagérées et que certaines industries secondaires, installées dans des conditions défavorables, imparfaitement outillées, mal venues, ne fussent sacrifiées à l’intérêt supérieur qui avait conseillé la réforme. Il n’en fut rien. Passant en revue les diverses branches de travail qui paraissaient être le plus directement menacées, M. Amé a démontré que, dans les détails comme pour l’ensemble, les résultats des traités ont été profitables à tous égards, que les manufactures se sont perfectionnées, que la concurrence a partout amené le progrès, nulle part la ruine. En même temps que la levée des prohibitions et l’abaissement des taxes favorisaient les arrivages des produits étrangers, l’accroissement de la consommation et le progrès des échanges avaient pour effet d’augmenter la production intérieure; le travail national a rémunéré une plus grande somme de capitaux, il a employé un plus grand nombre d’ouvriers avec de plus forts salaires. La statistique, expliquée et commentée par le directeur général des douanes, parle ici un langage irréfutable, dont l’autorité s’ajoute aux affirmations doctrinales des économistes.

A quoi bon d’ailleurs aligner de fastidieuses colonnes de chiffres, quand on pourrait dire en vérité que les résultats sautent aux yeux? N’est-il pas évident qu’à partir de 1860 on a remarqué en France et à l’étranger, partout où s’est étendue la réforme des tarifs, une explosion de travail, une sorte de déchaînement de production, dont on n’avait jusqu’alors jamais eu d’exemple et qui ont dépassé toutes les prévisions ? La multiplication des chemins de fer et des services de navigation à vapeur, le perfectionnement des relations postales et télégraphiques, ont assurément contribué pour une forte part à ce progrès universel ; mais, si l’on veut bien y réfléchir, on reconnaîtra que l’origine du progrès se rencontre dans la réforme législative, qui a fourni plus de chargemens aux wagons, plus de fret aux navires, et rendu plus nécessaires les moyens de correspondance entre les différens marchés. Tout cela date de 1860 et procède d’un