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avec toutes les troupes disponibles, et l’on attend chaque jour avec anxiété des nouvelles de la flotte, qui n’arrivent pas. Voici l’origine de cette guerre, dirigée en apparence contre des pirates, et provoquée en réalité par de graves considérations politiques. Les Espagnols sont si peu maîtres des différentes parties des Philippines, qu’ils craignent à chaque instant de voir s’y établir, dans quelque île indépendante du Sud, une de ces nations inquiétantes dont les flottes sillonnent les mers de Chine en quête d’un point favorable pour y planter leur pavillon et y établir un port de commerce et une station navale. Si l’Angleterre a besoin de se maintenir, l’Allemagne a envie de s’installer, et fera ombrage à tout le monde tant qu’elle n’aura pas choisi sa victime. Un pareil voisinage, outre qu’il porterait atteinte à la souveraineté théorique que l’Espagne réclame sur tout l’archipel des Philippines, annulerait complètement le profit qu’elle retire de sa colonie par les monopoles et les douanes, car tout le commerce des épices s’écoulerait par le nouveau port, où d’habiles concurrens ne manqueraient pas d’instituer la franchise. Or le sultan de Sulu, maître d’un petit groupe d’îles à l’extrémité méridionale de l’archipel, bien loin de respecter la ligne de douanes dans laquelle le gouvernement espagnol voulait l’enfermer, a noué presque ouvertement des relations commerciales avec les marines anglaise et allemande, qui lui apportent notamment des cargaisons d’armes, alors que l’importation même d’un simple fusil de chasse est ici l’objet d’une prohibition absolue. On a vu dans ces faits la menace d’une intrusion étrangère, et, pour faire cesser un trafic qu’elle regarde comme une violation de ses règlements, comme pour établir en fait son droit de souveraineté, l’Espagne a entrepris, sous le prétexte de châtier quelques pirates, une guerre dirigée moins contre ceux qu’elle frappe que contre leurs alliés occultes. Les débuts n’ont pas été heureux, on a opéré un débarquement maladroit, perdu beaucoup de monde sans combat; il a fallu envoyer successivement 8,000 hommes, dépenser beaucoup d’argent pour affréter des navires qui manquaient et qui reviennent chargés de malades; enfin on a rencontré un insuccès matériel et moral, là où l’on espérait un facile triomphe, et Manille est en ce moment sous le coup de cette pénible situation où chacun craint pour un parent ou un ami. Cependant on annonce le retour du capitaine général à qui doit être offerte une fête triomphale : il ne faut pas laisser trop longtemps dans le deuil cette population impressionnable et avide de démonstrations bruyantes.

27. — Quiconque n’a pas pris le parti de dormir en compagnie des jackos et des cancrelats doit renoncer à goûter ici un instant de repos : les premiers sont de petits lézards inoffensifs dont on