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qu’il convenait de la rectifier, de la modérer, en poursuivant les idées de réforme que les ministres de la restauration avaient tenté de réaliser. Dès les premiers pas qu’il essaya dans cette voie, le gouvernement se heurta contre une opposition qui était d’autant plus redoutable qu’elle se recrutait dans les rangs du parti conservateur, et avait pour organes les amis les plus dévoués de la royauté de juillet. L’abaissement du cens électoral à 200 francs n’avait pas sensiblement modifié la composition du corps électoral; il n’avait point déplacé les influences qui, depuis quinze ans, l’emportaient dans la rédaction des tarifs. Si l’on n’invoquait plus les intérêts de l’ancienne aristocratie liés à ceux de la grande propriété, l’on imaginait une autre aristocratie : celle des grands industriels et des grands manufacturiers, qui devaient être considérés comme les fondateurs de la dynastie nouvelle. C’était ainsi qu’en 1832 M. le comte Jaubert démontrait à la chambre des députés la nécessité politique et sociale de la protection. À ces argumens venait se joindre la pression des intérêts qui s’étaient créés et développés sous le couvert des prohibitions, et qui repoussaient naturellement toutes les réformes. S’agissait-il d’autoriser le simple transit des soieries étrangères, M. Fulchiron s’écriait que Lyon allait en mourir. Voulait-on établir des entrepôts dans quelques villes de l’intérieur, les députés des ports réclamaient avec la plus grande énergie, comme si la mesure devait entraîner des catastrophes. Le gouvernement crut se tirer d’embarras en instituant une commission d’enquête, ainsi que l’avait fait en 1828 le ministère de la restauration. L’enquête de 1834 aboutit à des conclusions libérales et sensées; elle démontra, malgré les protestations des manufacturiers, que l’industrie française pouvait se passer de la prohibition et accepter sans péril une première réforme des tarifs; mais, quand il fallut donner à ces conclusions une sanction pratique, c’est-à-dire les soumettre dans un projet de loi à l’examen des chambres, le gouvernement dut reculer devant la perspective d’un échec certain. Ce fut seulement deux années plus tard que la chambre des députés consentit à supprimer quelques prohibitions et à réduire un certain nombre de taxes; la loi du 5 juillet 1836, qui consacra ces mesures, semblait annoncer l’abandon plus ou moins prochain du régime à outrance qui s’était imposé à la restauration.

Cet essai de libéralisme ne fut malheureusement qu’une surprise. Le parti protectioniste y vit un grave péril et redoubla d’efforts pour arrêter le gouvernement sur la route où il semblait prêt à s’engager. Les manufacturiers et les agriculteurs se coalisèrent pour la défense commune de leurs intérêts, qui, jusque-là, étaient souvent tenus pour contradictoires, et formèrent une alliance qui pesa, dans les circonstances les plus graves, sur la politique du règne. Ce fut