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M. de Vergennes mourut le 12 février 1787, au moment même où allait se réunir l’assemblée des notables. Ce fut M. de Galonné qui eut la charge de présenter et de soutenir le nouveau tarif. Il s’agissait d’abolir les douanes intérieures, d’établir à l’égard de l’étranger une frontière unique, de supprimer la plupart des prohibitions et de répartir les droits d’entrée et de sortie entre diverses classes dont la plus élevée n’aurait pas été taxée au-dessus de 12 pour 100. On s’inspirait des maximes de Colbert, et la doctrine gouvernementale s’exprimait textuellement ainsi : « Le droit protecteur, celui qui frappe tous les objets de fabrication étrangère entrant en concurrence avec les objets fabriqués en France, est de 10 pour 100 ; le droit de 12 pour 100 est le droit prohibitif, c’est-à-dire le droit destiné à éloigner les produits dont, pour l’avantage de l’industrie nationale, il est nécessaire de restreindre l’importation.» Cette doctrine s’exprimait, se chiffrait, il y aura bientôt un siècle, et nous n’en sommes point encore à la pratiquer!

Les propositions du gouvernement rencontrèrent dans l’assemblée des notables un accueil peu empressé. S’il ne s’était agi que du tarif, l’entente aurait pu s’établir, et il convient de reconnaître que les amendemens qui furent présentés dans les bureaux chargés de l’examen préparatoire tendaient à un abaissement plus prononcé des droits d’entrée et de sortie. L’un de ces bureaux alla même jusqu’à émettre le vœu « que les nations plus éclairées apprissent enfin à préférer la liberté mutuelle de leur commerce à la défense mutuelle de leurs lois prohibitives. » Les économistes de nos jours n’ont pas mieux dit. La plus forte objection contre le nouveau plan du régime douanier fut provoquée par l’esprit d’indépendance provinciale. Les représentans de la Lorraine et de l’Alsace invoquaient des privilèges qui leur avaient été concédés lors de la réunion de ces provinces à la France; ils entendaient, soit obtenir leur autonomie quant à la législation douanière, soit continuer librement leurs relations de commerce avec les pays allemands. De leur côté, les notables de la Bretagne contestaient au gouvernement et à l’assemblée le droit de régler une question qui se rattachait intimement à la perception des impôts, droit qui appartenait aux états de la province.

L’assemblée des notables ne prit aucune résolution. Il était réservé à l’assemblée nationale de vaincre les résistances que n’avait pu surmonter l’ancienne monarchie. Elle commença par abolir les droits de traite. En une seule séance et par un vote d’acclamation, le 30 octobre 1790, les barrières intérieures furent supprimées, et l’union douanière de la France, réclamée dès 1561, devint une réalité. Cette grande assemblée, qui avait constitué l’unité nationale en proclamant d’abord dans son sein la fusion des trois ordres, ne pouvait se laisser émouvoir par les derniers râles des