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Loin d’imposer au gouvernement français la convention de 1786, le cabinet anglais, redoutant l’opposition manufacturière très puissante au sein du parlement, désirait ajourner les négociations, et il ne se décida à traiter qu’après avoir vu la France bien résolue à prohiber l’importation des marchandises britanniques, si l’Angleterre persistait à exclure les produits français. En un mot, contrairement à l’opinion qui a longtemps prévalu parmi nous, la convention de 1786 a été inspirée par la France. On cite, il est vrai, les protestations qu’elle fit naître de la part de nos manufacturiers, qui se prétendaient sacrifiés à l’Angleterre, protestations qui se produisirent avec tant d’ardeur devant l’assemblée des notables; mais il faut voir également de quelles critiques, de quelles malédictions fut poursuivie en Angleterre cette même convention, qui devait, au dire des fabricans de ce pays, ruiner l’industrie britannique et livrer l’Angleterre à la France. En réalité, les deux gouvernemens avaient fait une œuvre libérale et utile, qui n’avait d’autre tort que d’être en avance sur l’opinion publique ou plutôt sur les sentimens de certaines classes influentes qui avaient alors la prétention de représenter seules l’opinion publique. Combien de réformes ont été empêchées ou retardées ainsi ! Ces obstacles et ces retards apparaissent dans l’histoire de la législation commerciale aussi bien que dans l’histoire des régimes politiques. Pour l’objet qui nous occupe, il n’y a que justice à signaler les vues intelligentes, les tendances libérales des ministres de l’ancienne monarchie, et en même temps la pression exercée par M. de Vergennes sur le gouvernement anglais pour améliorer les conditions du commerce. Le souvenir des négociations de 1786 est tout à l’honneur de notre pays.

Ce traité n’était d’ailleurs que le commencement des réformes que M. de Vergennes projetait d’introduire dans les tarifs. Après avoir négocié avec l’Angleterre, il conclut des conventions analogues avec la Hollande et avec la Russie; ces actes accomplis au dehors, il se proposait de supprimer les douanes intérieures et de rédiger un tarif uniforme, dans lequel auraient trouvé place la plupart des taxes réduites stipulées au profit de l’Angleterre, de la Hollande et de la Russie. Il n’est pas sans intérêt de signaler cette procédure, qui devait être imitée plus tard. Dès cette époque, le gouvernement, craignant de ne point avoir directement raison de l’opposition des industriels, avait l’idée d’employer la voie indirecte des traités de commerce pour arriver à la modification du tarif général, et de prendre en quelque sorte le circuit diplomatique pour résoudre une question d’ordre intérieur. Cette politique, ou plutôt cette tactique était adoptée comme l’unique moyen de réaliser le progrès dans la législation; la diplomatie se chargeait de préparer les voies aux réformes.