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les mouvemens parlementaires, et retardant par tous les moyens l’application des doctrines libérales que Colbert a tenté le premier de faire prévaloir dans le tarif de 1664.

Il ne faut pas croire, au surplus, que cet état de choses fût particulier à la France. Dans la plupart des grands pays, notamment en Angleterre, les combinaisons intelligentes des gouvernemens étaient entravées de la même manière par la résistance de l’opinion publique. Si l’industrie française redoutait l’invasion des produits anglais, l’industrie britannique n’était pas moins ardente à repousser le moindre essai de concurrence étrangère. En 1713, le traite d’Utrecht avait stipulé que le tarif français de 1664 serait remis en vigueur à l’égard de l’Angleterre et de la Hollande, en échange de compensations à débattre. La Hollande s’empressa de profiter de cette clause, qui favorisait ses opérations maritimes; mais en Angleterre le gouvernement se vit exposé aux plus violentes critiques dès qu’il tenta de modifier le régime des prohibitions. Les manufacturiers qui travaillaient la laine et la soie négligeaient les profits qu’ils auraient pu retirer de leur accès plus facile sur le marché français; ils se voyaient au contraire débordés et envahis par l’étranger. Les habitans de Worcester ne voulaient pas de l’importation des eaux-de-vie de France, qui aurait fait tort à leurs fabriques de verjus. Les principaux organes de la presse protestaient à l’envi contre les projets du ministère. Il y eut, à Londres et dans les grandes villes, des manifestations populaires, des meetings,, des processions d’ouvriers; l’opinion était excitée à ce point que la chambre des communes n’osa passer outre, et qu’une majorité de quelques voix rejeta le traité de commerce avec la France. Ce fut alors entre les deux pays le nouveau signal d’une guerre de tarifs qui se prolongea pendant presque toute la durée du XVIIIe siècle, jusqu’à la conclusion du traité de 1786, lequel ne fut lui-même qu’un acte bien éphémère, un moment de trêve et le prélude d’autres luttes non moins acharnées.

Le traité de 1786 a été reproché à notre diplomatie comme une concession faite à l’Angleterre. C’est une erreur complète, qui a été démontrée par M. de Butenval dans l’étude historique qu’il a consacrée à ce traité. Grâce aux écrits des philosophes et des économistes du XVIIIe siècle, les doctrines libérales obtenaient plus de faveur en France qu’en Angleterre. Le docteur Quesnay et Turgot étaient, en matière d’échanges internationaux, plus libéraux encore que ne l’avait été Colbert ; le ministre des affaires étrangères, M. de Vergennes, esprit supérieur, avait compris que le meilleur moyen de rétablir solidement la paix entre les deux grandes nations consistait à faciliter et à étendre les relations de commerce « sur le pied de la réciprocité et de la convenance mutuelles. »