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le pays basque, essentiellement agricole, ne connaît point le luxe; l’argent même y est assez rare, mais l’argent ne fait pas la vraie richesse, il ne sert qu’à faciliter les échanges. Là-bas, en Navarre surtout, les articles de première nécessité abondent : le blé, l’huile, le vin; la vie est peu chère; comme les femmes ont l’habitude de travailler la terre, les champs ne sont point restés en friche après le départ des maris ou des fils, et pendant toute la durée de la guerre les récoltes n’ont pas diminué sensiblement; en outre, chaque famille, à cause du voisinage des montagnes, possède quelques têtes de bétail dont le fumier lui sert à améliorer son champ. Les réquisitions ne manquaient donc pas d’être fructueuses, et l’on peut poser en principe que jamais les carlistes n’ont souffert de la faim. Il est certaines localités, comme Viana, qui, situées aux approches des deux armées, étaient forcées de les recevoir et de les héberger à tour de rôle; si elles ont pu y suffire aussi longtemps, — ainsi concluait mon Espagnol, — cela ne prouve-t-il pas clairement les profondes ressources de la contrée qui, par elle-même, subvenait à tous les besoins qu’une intendance militaire bien organisée eût été tenue de prévoir ailleurs. »

Bien qu’elle fasse partie du pays basque au double point de vue ethnologique et géographique, la Navarre, dans sa plus grande étendue au moins, a depuis longtemps désappris « la noble langue des fils d’Aïtor. » Les habitans des hautes vallées parlent encore l’idiome primitif; mais dans tout le sud et dans l’est, à Pampelune, à Monreal, à Lumbier, on se sert d’un castillan mélangé de termes locaux. Les femmes en général sont petites, la taille lourde, les traits vulgaires et sans agrément; l’homme a mieux conservé, dirait-on, le type de la race aborigène : le corps souple et nerveux, le visage ovale, le nez droit, les pommettes saillantes, les cheveux drus empiétant sur le front. Les Navarrais ont aussi leur caractère particulier : ils sont plus sombres, plus fermés que leurs voisins de la Vizcaye ou du Guipuzcoa, ils rient peu; d’aucuns les accusent d’être sournois. Du moins leur courage est-il incontestable : on les a vus au Monte-Jurra, pour charger à la baïonnette, ramper comme des jaguars aux flancs de rochers à pic. On a coutume, il est vrai, d’établir une distinction entre les habitans de la montagne et ceux de la plaine. Les premiers auraient, à ce qu’on assure, des mœurs plus douces et plus patriarcales; les autres, au contraire, n’aimeraient rien tant que la guerre, les rixes et les coups : le climat plus chaud en serait cause et peut-être aussi-le vin, plus abondant. Pour ma part, et sans nier la justesse de cette observation en temps ordinaire, j’ai pu voir chez tous les Navarrais, du nord au sud et de Leire à Vera, le même esprit d’indépendance, le même orgueil surexcité