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n’en est pas de même, hélas! du petit cloître si harmonieux qui précède l’église : des troupes y campaient naguère, la flamme des bivouacs a léché les murs de sa langue noire, rongé les pierres des assises; et partout des fûts renversés, des arcs mutilés. Ne pourrons-nous donc faire un pas sur cette malheureuse terre sans y rencontrer les souvenirs odieux de la guerre civile?

Au-dessous de Tafalla, à l’extrémité même du losange que dessine la Navarre, se trouve Tudela, la dernière ville importante de la province; elle est située au-delà de l’Èbre, que le chemin de fer traverse sur un pont métallique long de 700 mètres et plus; les carlistes, de gaîté de cœur, en ont fait voler plusieurs arches; quand je passai par là, des ouvriers étaient en train de les rebâtir, mais lentement, posément, avec une gravité toute orientale, si bien qu’on ne pouvait prévoir s’ils en finiraient jamais; en attendant, on franchit le fleuve sur un bac. Du reste, il ne faudrait pas croire que la largeur normale de l’Èbre soit ici en proportion avec l’étendue du pont : son cours sinueux, les bancs nombreux de sable et de cailloux qui encombrent son lit immense, ses rives rongées, déchiquetées, sans arbres, le font ressembler à la Loire auprès d’Orléans. Comme la Loire aussi à certains momens, il a des crues subites et des colères inconsidérées. D’après d’anciens documens, l’Ebre fut navigable, pendant la plus grande partie du moyen âge, depuis Tudela jusqu’à la mer; mais l’incurie des premiers conquérans chrétiens et les transformations graduelles subies par le talweg du fleuve, ont privé le pays de ce précieux moyen de communication. Le canal impérial d’Aragon, œuvre magnifique commencée par Charles-Quint, n’a pu réparer tout le mal : plus de 250 kilomètres manquent encore pour le compléter, entre Saragosse et Tortosa, Ce canal d’ailleurs est à deux fins : il sert de voie au commerce et fournit de l’eau pour fertiliser les terres; l’irrigation est fort en honneur dans tous ses parages; l’usage en remonte aux Mores, qui ont occupé longtemps la contrée, et partout ont laissé des preuves bienfaisantes de leur séjour. A Tudela, même après la conquête, ils vivaient encore en grand nombre. Aujourd’hui la ville n’offre plus trace de mosquée; en revanche, les églises et les couvens y abondent, tous édifices bâtis de briques, vieux sans antiquité, absolument dépourvus d’intérêt; seule, la cathédrale, avec sa voûte majestueuse, ses chapelles surchargées d’ornemens churriguerresques, sa vaste sacristie où sont réunis les portraits en pied des donateurs, arrête l’attention. Tudela en somme m’apparaît sous un jour triste et froid; ses rues étroites sont plus que suffisantes pour une population qui ne dépasse pas 4,000 âmes; tout au travers coule la Quelles, minuscule affluent de l’Èbre, encaissée entre deux superbes quais de pierre qui feraient envie à un vrai fleuve ; rien