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fontaine jaillissante distribuait sa fraîcheur aux convives : les eaux étaient amenées d’une source voisine par un aqueduc et répandues à profusion dans toutes les parties du parc. Durant la guerre de l’indépendance, la garnison française qui occupait Tafalla détruisit l’aqueduc et brutalement arracha les grilles du cenador. Le mal pourtant était peu de chose. Les jardins n’avaient rien perdu de leur disposition originale; le palais lui-même réservait encore au visiteur mille détails précieux de l’art de l’époque. Qu’en reste-t-il maintenant? Rien qu’une immense place vide, au sol bosselé, une haute tour encore debout, le fameux cenador aussi, mais mutilé, pleurant ses stalles et ses clochetons; contre un mur ruiné des traces de peintures décoratives. Tafalla était comme le centre d’opération des libéraux en Navarre : Morionès y tint longtemps son quartier-général. Chaque maison porte encore écrit sur sa façade, en gros caractères, le nombre d’hommes et de chevaux, le grade et les fonctions des officiers qu’elle logeait. Les abords de la place avaient été soigneusement dégagés; pour plus de sûreté, l’autorité militaire fit construire deux forts, lourdes bâtisses blanches et nettes, odieusement régulières, et comme on n’avait pas de temps à perdre, ce fut l’antique palais royal qui fournit aux travailleurs les moellons nécessaires. Les Espagnols parlent sans cesse du vandalisme des soldats de Napoléon Ier, qui ont stupidement gâté tant de chefs-d’œuvre, mais de quel nom flétrir cette barbare destruction accomplie dans leur propre pays par une armée nationale?

A défaut de Tafalla, il nous reste Olite; cependant je ne sais si cette consolation ne contribuerait pas plutôt à aviver mes regrets. Une heure de distance à peine sépare les deux villes. La campagne intermédiaire est la plus fertile et la mieux cultivée du monde : les vignobles et les oliviers s’étendent vers la gauche à perte de vue; à droite, une ligne de coteaux baignés d’une lueur fauve termine l’horizon. De petits murs en terre battue entourent les jardins que sillonnent en tous sens mille canaux où l’eau vive murmure et coule à pleins bords; une immense avenue de peupliers blancs aux souches énormes donne son ombre à la chaussée; elle a malheureusement souffert de la guerre, et par les larges trouées qui la déchirent parait la ville d’Olite. Tout d’abord on peut se croire transporté dans le monde des rêves, tant ces constructions multiples s’entassent et s’entremêlent en un pêle-mêle bizarre que fait mieux ressortir le ton azuré du ciel qui sert de cadre au tableau. On marche, on entre dans la ville, et l’illusion continue. Comme toutes les places fortes du moyen âge, Olite occupe une éminence de forme ronde, bien détachée, commandant la plaine et facile à défendre; l’ancienne enceinte, assez peu étendue, est intacte et forme un cercle parfait. La grande rue est à elle seule tout un musée : couvens fortifiés aux