Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/694

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
QUELQUES RÉFLEXIONS
SUR LA
CONFÉRENCE DE CONSTANTINOPLE

Les dégoûtés prétendent qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, rien d’inédit; c’est une erreur. Il vient de se passer à Constantinople quelque chose de nouveau : on y a représenté une pièce qui n’avait pas encore été jouée. Est-ce une comédie? est-ce un drame? Cette pièce tient de l’un et de l’autre. Les genres tranchés ne sont plus de mode; les drames aujourd’hui sont toujours mélangés d’incidens comiques, et les comédies tournent souvent au drame. Les délégués des six grandes puissances se sont réunis en conférence pour régler de gré à gré la question d’Orient et pour dicter à la Turquie des conditions délibérées en commun. Tout le monde s’attendait qu’ils se disputeraient, ils ne se sont point disputés. Les gens qui écoutaient aux portes assurent que ces plénipotentiaires, venus du nord et du midi, de l’est et de l’ouest, n’ont pas dit un mot plus haut que l’autre, que tout s’est passé en douceur, et ceux qui ont regardé par le trou de la serrure affirment qu’ils ont vu le marquis de Salisbury et le général Ignatief la main dans la main et sur le point de s’embrasser. C’est là un premier sujet d’étonnement.

Après s’être entendus, les délégués se sont tournés vers la Sublime-Porte, et lui ont dit : — Nous sommes tombés d’accord, nous avons réussi à mettre nos six têtes dans un chapeau; voici ce que nous voulons, nous parlons au nom de l’Europe. — On ne doutait pas que cette unanimité de l’Europe ne produisît sur la Porte un effet irrésistible; on supposait qu’elle ferait quelques objections pour la forme, mais qu’elle finirait par céder. Autre sujet d’étonnement, la Porte n’a point cédé. Elle a répondu : — Je ne peux pas, ou : Je ne veux pas. — En Orient, ces deux expressions s’emploient couramment l’une pour l’autre; qui peut