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a si souvent célébrée, il passait à travers les pluies d’orage en chantant, et se contentait de secouer au soleil son aile mouillée, sans suspendre sa chanson. Il est regrettable que nos poètes n’aient pas songé à le faire mieux connaître au public français. Nous possédons, il est vrai, la traduction de L. de Wailly, mais pour ce chanteur la prose ne suffit pas, il y manque l’essor, le coup d’aile et le coup de soleil.

Dans un petit volume de vers publié dernièrement par M. Francis Pittié[1], je trouve cependant un essai de traduction de l’une des chansons de Burns, Nannie :

Voici venir le mois d’avril.
Dans l’air léger, dans l’air subtil,
Monte comme une hymne infinie.
Tout est beauté, douceur, amour...
Charme des nuits, splendeur du jour,
Hélas! qu’êtes-vous sans Nannie?

Honneur des gazons diaprés,
Primevère et pavots pourprés
Ornent la plaine rajeunie...
La tristesse remplit mon cœur :
La primevère était la fleur,
La fleur que préférait Nannie...

Assurément ces vers ont de la fraîcheur et sont joliment tournés, mais ils ne rendent pas suffisamment l’impression de l’original. Dans Robert Burus, il y a, à côté du poète amoureux, le poète rustique et paysagiste, et M. Pittié ne nous l’a pas fait assez voir. Burns peint le paysage avec une merveilleuse exactitude. Dans ses petits tableaux, il n’y a pas une touche qui ne soit juste et n’ait sa valeur. S’il nomme un oiseau ou une fleur, il ne les choisit pas indifféremment, mais il les nomme parce que cet oiseau chantait, parce que cette fleur s’épanouissait précisément au lieu et à l’heure où il a été ému. Ces détails-là sont caractéristiques, et voyez comme, — même en prose, — la pièce gagne à ce qu’ils ne soient pas omis :


« Maintenant la nature joyeuse a mis son verdoyant manteau, — et elle prête l’oreille aux bêlemens des troupeaux, là-bas, sur les pentes, — tandis que les oiseaux gazouillent dans les halliers verts, en signe de bienvenue; — mais pour moi tout cela est sans charme; — ma Nannie est bien loin.

« La galantine et la primevère parent nos bois, — et les violettes se baignent dans l’humidité du matin. — Cela me peine le cœur de les voir fleurir si doucement; — elles me rappellent Nannie, — et Nannie est bien loin.

« Alouette, toi qui t’élances du milieu des herbes trempées de rosée,

  1. Le Roman de la vingtième année, par M. Francis Pittié; Paris, Sandoz et Fischbacher.