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qu’il en soit, il n’y a pour ainsi dire rien au monde qu’il ne soit en état de fabriquer lui-même : chaussures, cadres pour les tableaux, vêtemens, tables, chaises, poteries et mille autres ustensiles. Sa passion la plus noble, celle qu’il partage avec le grand empereur Charles-Quint, le solitaire de Saint-Just, c’est la manie des montres ; non-seulement il en a toujours plusieurs suspendues au-dessus de son lit d’une simplicité spartiate, non-seulement aux côtés de la porte d’entrée sont accrochés plusieurs coucous de la Forêt-Noire, auxquels il s’évertue à imprimer le même mouvement, mais il ne peut entrer dans une chambre sans que ses yeux n’y cherchent immédiatement la pendule. Il la regarde du plus loin avec convoitise, tourne fiévreusement autour pendant quelques minutes, puis tout à coup la saisit et la décroche à la dérobée pour la démonter avec une rapidité foudroyante. Sa joie est alors sans comparaison possible. Goethe, lorsqu’il composait son Faust, n’a sûrement jamais éprouvé une félicité pareille à celle qu’il ressent à l’assemblage des ressorts d’une horloge.

Outre ses montres et ses livres, dont il a rempli une étagère de sapin odorant qu’il a fabriquée de ses propres mains, il cultive particulièrement les animaux. Tout ce qui vole ou rampe est assuré de sa sympathie. Quand on le rencontre dans la belle saison, on peut être certain que ses poches sont pleines de sauterelles, de grillons ou de lézards, que quelque serpent non venimeux va soudain vous tirer la langue hors de sa manche, et qu’il s’abstiendra de vous ôter son chapeau, qui recouvre, indépendamment de sa tête, un nid d’oisillons. Il dresse des chiens et des chevaux, apprend à parler aux étourneaux, aux corbeaux, et, s’il n’a rien de mieux, aux pies, montre aux pinsons et aux canaris à faire l’exercice en ordre de bataille, à porter arme et à décharger de petits canons en cuivre. Son talent, à ce qu’il assure, consiste principalement à développer chez les animaux « l’effet moral. »

Celui qui entre dans sa chambre est accueilli par un tumulte de voix et de cris, sans précédent depuis l’arche de Noé. À une certaine heure du jour particulièrement, c’est un fracas assourdissant. Cinq horloges sonnent en même temps ; cinq oiseaux en bois surgissent de leurs cachettes en répétant : « Coucou ! coucou ! » Au tic-tac des horloges se mêlent le gazouillement des pinsons, les piaillemens des canaris en colère, les petits cris des souris et le bruissement des grillons. Des scarabées bourdonnent, un rouge-gorge va voletant d’un coin à l’autre, une fauvette en bas-âge réclame sa nourriture. Une demi-douzaine de chiens unissent leurs aboiemens aux gémissemens d’un jeune renard qui pleure comme un enfant en nourrice, et l’étourneau croise un « prenez garde »