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RÉCITS GALLICIENS

III.
LE LIEUTENANT HOLOPHERNE.

J’aime la vie des champs, — non pas seulement parce qu’à mon avis la société de la nature est préférable à toute autre, mais parce qu’on y rencontre la véritable originalité. Les habitans de la ville sont tous taillés sur le même type, comme des bûches de même longueur. Ils reçoivent tous la même estampille. Cette marque qu’on retrouve partout, et dont la monotonie nous irrite, se nomme tantôt état social, réputation, opinion politique, tantôt autrement. Toute individualité y est si rare qu’on ne peut en rencontrer une sans en faire cas comme d’un objet précieux. À la campagne, au contraire, on rencontre sur sa route presque autant d’êtres originaux que de cailloux. Là, chacun a gardé sa personnalité, avec ses défauts, ses manies, ses vertus, dont personne ne peut se dire l’inspirateur, et les qualités et les vices ne sont du moins pas ceux de toute une caste.

J’ai dans mon voisinage une de ces figures excentriques. C’est le lieutenant en retraite ou, comme il a soin de dire en parlant de lui, « monsieur le lieutenant Holopherne. » Dans le pays, nul ne sait d’où lui vient le terrible nom du païen de l’Écriture, et nul, si ce n’est moi, n’a jamais cherché à le savoir. Nous n’en dirons pas plus long. Peu de temps après son installation dans le pays, un officier de son ancien régiment, passant avec un convoi de vivres, s’étant écrié en l’apercevant subitement : — Eh ! vraiment, c’est lui-même, c’est Holopherne en personne, — tous depuis ne l’appelèrent