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lequel devait en avoir reçu la confidence de quelque mécanicien ou marinier. Quoi qu’il en soit, il avait, dit-on, imaginé de remorquer les bateaux sur les canaux et les rivières au moyen d’un câble attaché solidement à la rive, et qui s’enroulait à bord autour d’un cabestan vertical mis en mouvement par des chevaux, à la façon d’un manège de maraîcher. Quand on était arrivé vis-à-vis ou à proximité du point d’attache, on recommençait l’opération en allant tout d’abord amarrer le câble un peu plus loin. Cette ingénieuse idée ne reçut, dans sa conception première, aucune application pratique. En 1819, en 1828, des essais à peu près infructueux de touage furent faits, cette fois au moyen de machines, à Lyon sur le Rhône, à Paris sur la Seine. En 1850, il n’y avait plus sur la Seine qu’un petit toueur qui faisait, sur 6 kilomètres, le service du pont d’Austerlitz au Port-à-l’Anglais ou d’Ivry, en amont du confluent de la Marne avec la Seine, pour débarrasser les ports de Paris des bateaux vides qui les encombraient.

C’est ce petit toueur qui a servi en 1856 comme point de départ à des expériences entreprises par la Compagnie de touage de la Basse-Seine, en vue d’organiser enfin des services qui pussent satisfaire à un important trafic. Ces expériences ont eu le plus grand succès. La longueur de la concession de la compagnie sur la Seine a été primitivement de 72 kilomètres ; elle va aujourd’hui de Conflans à la mer, et la compagnie possède sept bateaux teneurs, construits en Angleterre, d’une force de 75 chevaux chacun. Ils sont munis d’une hélice et descendent librement le fleuve sans se servir de la chaîne. A la remonte, on calcule que le rendement moyen du touage est de 80 pour 100 du travail dynamique développé par la machine à vapeur du bateau. C’est un maximum : les meilleurs remorqueurs, munis de roues à palettes prenant leur point d’appui sur l’eau, ne donnent que 60 pour 100.

La Compagnie de touage de la Basse-Seine est des mieux organisées; elle est en possession de presque tout le trafic du fleuve, du moins pour le remorquage, car il ne lui est pas permis de trans- porter pour son compte. Est-ce là ce qu’on appelle la liberté de la navigation? En 1868, cette compagnie a remonté à Paris plus de 1,600,000 tonnes de marchandises de toute espèce. Le tonnage d’un train ainsi remorqué peut aller de 1,500 à 2,000 tonnes, et les prix de traction sont abaissés d’environ 40 pour 100 sur le halage par chevaux ou la remorque avec des bateaux munis de roues à palettes. Ceux-ci ne tentent même plus de lutter avec le touage dès que les eaux du fleuve s’élèvent et que la vitesse du courant devient plus sensible. A plus forte raison, le halage par locomotives routières, qui a été quelquefois essayé, ne saurait-il l’emporter sur