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se lançait au courant. Les bateaux tiraient 2 mètres d’eau, mais avec leur chargement élevé avaient peine à passer sous les ponts. Ils entraient ainsi en Seine et venaient en toute hâte s’amarrer au port. Saint-Nicolas du Louvre, où ils restaient en déchargement quelquefois pendant une couple d’années. Cette navigation rudimentaire n’était pas sans périls; le taux du fret, fort élevé, payait amplement toutes les fatigues et couvrait tous les risques. Les améliorations apportées de nos jours au régime de la Marne et la création d’un chemin de fer, celui de la ligne de l’Est, dans la vallée de cette rivière, ont changé cet état de choses, qui durait depuis des siècles.

Dans l’origine, chez tous les peuples, on a ainsi utilisé les rivières principalement à la descente. Sur le Tigre et l’Euphrate, sur le Nil, les naturels naviguent encore au moyen de radeaux où l’on charge, comme aux temps de Ninus et de Sésostris, la marchandise à découvert. Le flottage, aujourd’hui presque partout délaissé en Europe, a été longtemps un des principaux moyens d’approvisionnement des grandes cités populeuses. Sur le Rhin, le passage des « flottes » destinées à la Hollande était un événement; la peinture maintes fois s’est plu à le reproduire. Sur la Marne, l’Yonne, la Seine, ce flottage, qui remontait à une haute antiquité, était surveillé et protégé par les pouvoirs publics. C’est surtout à propos de ce système de transport que le mot profond et si souvent répété de Pascal sur « les chemins qui marchent » se trouve justifié.

La vieille navigation de l’Yonne était un peu différente de celle de la Marne : on n’attendait pas la crue, on la provoquait. Comme celle de la Marne, cette navigation est restée très longtemps primitive, et n’en a pas moins concouru pendant des siècles et pour une notable part à l’approvisionnement de Paris. Elle se faisait naguère encore par éclusées ou lâchures. La rivière ne donnant qu’un mouillage insuffisant pendant une partie de l’année, et les crues naturelles étant incertaines et souvent se succédant à des intervalles trop rapprochés, on résolut de faire des crues artificielles et de les utiliser seulement quand il en serait besoin. Pour cela, sur le haut de l’Yonne et le long de tous les affluens, on établit des réservoirs contenant le volume d’eau nécessaire pour former « le flot. » Au moment voulu, la crue artificiellement provoquée descendait avec la rivière, donnant partout le mouillage prévu, et emportant les trains et les radeaux qui l’attendaient aux diverses escales. La flottille, bien dirigée, arrivait heureusement en Seine, mais des manœuvres incorrectes pouvaient troubler l’ordre du train et devenir l’origine de plus d’un danger. Un bateau écarté du chenal s’échouait parfois sur la grève. Tous les traînards et les écloppés,