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I. — LA CANALISATION FRANÇAISE. — LE BASSIN DE LA SEINE.

On compte en France environ 8,000 kilomètres de rivières navigables et 5,000 kilomètres de canaux. Ceux-ci ont coûté tous ensemble un peu moins de 820 millions, ou 164,000 francs par kilomètre, et ont été exécutés par l’état ou des compagnies. Sur ces rivières et ces canaux, le prix de transport revient au maximum à 5 centimes par tonne et par kilomètre, tous frais compris, même ceux d’intérêt et d’amortissement des capitaux, péages ou droits de navigation, et il peut être abaissé de moitié. Le seul chiffre de 5 centimes, comparé au coût du transport sur une voie de terre, qui est au minimum de 25 centimes, et même à celui sur une voie ferrée, qui ne peut descendre sans perte au-dessous de 5 centimes, permet de mesurer d’un coup d’œil l’importance qu’ont eue de tout temps pour les transports intérieurs les rivières et les canaux. L’agriculture et la grande industrie sont restées jusqu’aujourd’hui en partie tributaires de ces voies, et cela en dépit de bien des inconvéniens, dont quelques-uns peuvent, il est vrai, disparaître.

Dès l’antiquité, nous trouvons les canaux en usage. En Chine, ils sont employés de temps immémorial. Nous ne parlons ici que des canaux à pente insensible, uniforme, en quelque sorte de rivières artificielles, coulant le long d’une même vallée. Les Romains n’en ont pas connu d’autres, mais ils ont surtout utilisé, comme la plupart des peuples de l’Orient, les Assyriens, les Égyptiens, les rivières naturelles, endiguées ou non. Strabon, décrivant la Gaule, relève l’admirable disposition de ses fleuves et l’heureux emploi qu’on en fait pour les transports des marchandises, soit dans l’intérieur du pays, soit d’une mer à l’autre. Du Rhône à la Seine ou à la Garonne, et de la Loire au Rhin, il y avait un transit incessant; mais entre deux vallées opposées on était forcé de recourir aux chars, les canaux que nous nommons à point de partage n’ayant pas même été soupçonnés par les ingénieurs de Rome, qui sont restés cependant les premiers des hydrauliciens. Celui qui si hardiment jeta l’aqueduc de Nîmes sur trois rangs d’arches superposées, ou apporta sur des arcs de triomphe aux fils de Romulus les eaux vives de l’Apennin, ne sut pas deviner l’écluse.

Sous Charlemagne et ses successeurs, sous les premiers rois capétiens, on semble faire un pas de plus, mais non encore décisif. Les capitulaires, les ordonnances de Philippe le Rel, de Louis XI, s’inquiètent de la canalisation, de l’endiguement des cours d’eau, surtout de la Loire ou de la Seine; néanmoins les droits féodaux gênent partout la navigation. Dès le règne de François Ier apparaissent