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un petit chignon semblable à celui des femmes et orné comme le leur d’un peigne d’écaille. Il ne faut pas du reste confondre ces Singalais de souche dravido-âryenne avec les Veddahs descendans des premiers indigènes de l’île, qui vivent aujourd’hui refoulés dans les montagnes et réduits par la misère à un état complet de barbarie.

Le cicérone qui, installé sur le marche-pied de la voiture, s’est fait un prétexte de ses connaissances en sabir pour nous piloter dans un pays connu déjà de nous tous, nous entraîne à Cinnamon-Garden, à la place du Marché, à je ne sais quels retranchemens fortifiés. Qu’importent à des passans une collection botanique, un monument, un fort ? C’est l’enchantement de ces lieux, c’est la magie de la lumière et des couleurs, c’est l’intensité de la vie sous les caresses d’un soleil ardent, que nous admirons et dont nous voulons rapporter la sensation enivrante. L’impression générale, en pareil cas, est souvent d’autant plus grande et plus vraie qu’elle est plus rapide et que des souvenirs partiels se confondent et se résument en une pensée dominante, comme les notes d’un accord en une perception unique. Si, comme le veut la tradition hindoue, Ceylan, l’ancienne Taprobane, est le berceau de la race humaine, il faut convenir que la Providence ne pouvait le placer dans un plus magnifique paradis.

15 mai. — L’Anadyr, qui vient de France, le Meinham, qui arrive de Calcutta, nous ont apporté, l’un des nouvelles, l’autre un courrier et des passagers ; ce n’est pas sans un battement de cœur que l’on voit se saluer ces trois beaux navires, venus des extrémités du globe, et qu’on échange les visites d’un bord à l’autre. Ceux qui quittent la France sont impatiens d’entendre des témoins véridiques parler des pays qu’ils vont parcourir ; ceux qui rentrent en Europe veulent en savoir l’état, que chaque nouvelliste résume à sa façon. Les marins s’interrogent sur le temps, les passagers sur la nourriture, les négocians sur l’état du marché, les touristes sur les excursions à faire ; puis on sonne le branle-bas du départ, chacun regagne son bord, on commence les manœuvres délicates de la sortie, et les deux paquebots, sortant l’un après l’autre du chenal, courent en sens contraire échanger les produits, les richesses, les idées de l’Orient et de l’Occident.

La mousson du sud-ouest est-elle établie ? voilà la question qui se pose parmi les officiers. Si elle règne en ce moment dans l’Océan indien, il est impossible de gagner Aden en droite ligne, nous rencontrerions, dans la vaste région dite des moussons, une mer très forte, un vent violent et contraire, contre lequel toute la vapeur des 250 chevaux du Sindh lutterait vainement ; c’est pour avoir voulu tenter l’aventure que plus d’un steamer a été obligé, après