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devait tomber avec l’avènement de Catherine II. La nouvelle impératrice confia la direction des beaux-arts au général Ivan Belski, son chambellan. Qu’était-ce donc que cet Ivan Betski, dont il est question si souvent dans la correspondance avec Mme Geoffrin, Voltaire et Falconet ? Ivan Betski est le même homme dont parle avec une pitié si dédaigneuse la princesse Dachkof, celui qui, après le coup d’état de 1762, accourut désespéré chez Catherine pour lui demander s’il n’était pas vrai qu’à lui seul elle dût sa couronne, et que l’impératrice crut récompenser dignement en le chargeant de faire confectionner la couronne du couronnement. Mercedem suam vani vanam. Betski n’est pas seulement le directeur des beaux-arts, il est aussi celui de la Maison des Enfans-Trouvés, ce splendide monument de la philanthropie de Catherine II ; il dirigea les instituts de demoiselles, les corps de cadets, les caisses de retraite pour les veuves et en général tous les nouveaux établissemens d’instruction ou de charité. Il a dans sa dépendance l’assistance publique, et, comme il arrive, même chez nous, il y a trouvé de grasses sinécures : il est l’intermédiaire de la souveraine avec les nécessiteux de la Russie et les gens d’esprit de l’Occident ; il est son grand aumônier et son ministre au département de l’esprit. C’est lui qui achète la bibliothèque de Diderot et surveille l’acquisition des Rubens et des Teniers ; c’est lui qui fait la lecture à Catherine et qui lui tient société quand elle s’ennuie ; il soigne ses jardins et serre ses bijoux. Betski, le vieux barbon (staryi krytch), comme elle l’appelle, est une sorte de factotum qui tient à la fois du surintendant des beaux-arts et de la demoiselle de compagnie ; Betski est un Mécène subalterne qui fait profession de protéger les artistes, qui aime si fort à leur rendre service qu’il prend en aversion les caractères indépendans qui ne veulent pas être protégés, et qui, s’il n’était contenu par le génie supérieur de sa maîtresse, aurait un goût naturel pour les médiocrités.

Déjà l’impératrice Elisabeth avait médité d’élever une statue à son père. L’exécution en fut confiée à Rastrelli, l’architecte du Palais-d’Hiver ; à sa mort, un autre Italien, Martelli, se chargea de l’entreprise ; mais dès l’avènement de Catherine II, Betski annonçait au sénat que la nouvelle souveraine n’avait pas daigné approuver cette statue, attendu qu’elle n’avait pas une assez haute valeur pour représenter dignement ce grand monarque et contribuer à la splendeur de sa capitale. L’œuvre de Martelli ne saurait en effet se comparer à celle de Falconet ; avec elle, on retombe dans la donnée banale de ces héros habillés ou déshabillés en Romains, qui ont longtemps infesté toutes les places publiques de l’Europe. Falconet a trouvé une inspiration de génie pour représenter aux yeux l’élan fougueux du réformateur qui escalada tous les obstacles,