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héroïque, intelligent comme un demi-dieu, impétueux comme l’éclair; il est de la famille des chevaux d’Achille, qui parlaient d’une voix humaine, des coursiers de Diomède, au souffle de flamme, des bêtes épiques que montaient les Ilia de Mourom et les Dobryna Nikitich, et qui, bondissant de montagne en montagne, enjambaient « les forêts, les vallées et les larges fleuves. » Peut-être dans le frémissement de cette main tendue, de ces doigts écartés, saisit-on une convoitise fiévreuse, une impatience juvénile, disons le mot, puérile. Si telle a été l’intention de l’artiste, on peut dire qu’il a poursuivi jusque dans ses nuances, jusque dans ses ombres, le caractère du terrible législateur qui, dans sa hâte du bien et son emportement de réforme, voulut forcer le temps même, tout accomplir à la fois, tout saisir d’une seule étreinte. Non loin du monument s’élève la masse imposante de Saint-Isaac, avec ses gigantesques gradins de marbre rouge, ses colonnes monolithes de granit de Finlande, ses archanges de bronze aux ailes éployées; l’œuvre de notre compatriote Montferrand fait en quelque sorte pendant à celle de Falconet : monumens impérissables de l’influence qu’exerça longtemps l’art français sur le génie russe. Il nous reste à voir comment Falconet fut amené de Paris à Saint-Pétersbourg et par quels labeurs il enfanta cette merveille, gloire commune de la France et de la Russie, œuvre de onze années de travaux, tantœ molis erat...

Le dix-septième volume de la Société impériale renferme la correspondance de Falconet avec Catherine II, ainsi que de nombreuses pièces relatives à son séjour dans la capitale russe. En outre, grâce à un enchaînement de circonstances singulières, les lettres de Diderot et de Falconet qui se rapportent à la même période font partie d’un legs fait au Musée lorrain de Nancy par la baronne de Jankowitz, petite-fille du sculpteur: elles ont été publiées en 1866 et 1867 par M. Charles Cournault. D’autres lettres, conservées dans le même dépôt, aident à faire connaître les rapports de l’artiste avec son protecteur, M. de Marigny, frère de la marquise de Pompadour, et avec son illustre élève, Mlle Collot; elles ont été également publiées, du moins en partie, par M. Cournault en 1869.

C’est au XVIIIe siècle que les statuaires français conquirent en Europe la première place et que Bouchardon, Pigalle, les deux frères Adam, Coustou, Houdon, non moins que les peintres Watteau ou Boucher, contribuèrent à établir victorieusement la supériorité de l’art national à l’étranger. Dans la décadence de l’art italien, nos sculpteurs n’ont plus de rivaux. « En Danemark, dit M. Cournault, la compagnie des Indes appelait Saly pour jeter en bronze la statue équestre de Frédéric V; en Suède, on demandait à Larchevêque celle de Gustave-Adolphe, » et Catherine II appelait à Saint-Pétersbourg