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Galitsine ; mais les papiers du vice-chancelier, Alexandre Mikhaïlovitch Galitsine, ayant été cédés en 1842 aux Archives de Moscou par son neveu le prince Serge, et un triage récent de ces précieux documens ayant été ordonné en 1875 par le directeur, M. le baron de Bühler, on a retrouvé, outre la correspondance infiniment curieuse des deux cousins[1], deux lettres absolument inédites de Voltaire (31 décembre 1766 et 7 octobre 1707) au prince Dmitri. La première étant la plus intéressante, j’en citerai un fragment :


« J’ai remercié sa majesté impériale de toutes ses bontés pour les Sirven; j’ai admiré, j’ai béni sa générosité envers M. Diderot et tous les grands exemples qu’elle donne à l’Europe. On dit que les ambassadeurs sont des espions honorables : je sais, monsieur, que vous êtes l’espion du mérite et de l’infortune. Vous les cherchez pour leur procurer des bienfaits. C’est là votre principal ministère. C’est vous, monsieur, qui fournissez à votre auguste impératrice les occasions de signaler sa grandeur d’âme. Louis XIV, en répandant des bienfaits sur les gens de lettres de l’Europe, fit beaucoup moins que votre souveraine. Il se fit indiquer le mérite, mais l’impératrice l’a connu par elle-même ; elle n’a écouté son grand cœur qu’après avoir consulté son esprit. Je lui souhaite un règne aussi long qu’elle le rend glorieux. Où est le temps que je n’avais que soixante-dix ans? j’aurais couru l’admirer. Où est le temps que j’avais encore de la voix! je l’aurais chantée sur tout le chemin, du pied des Alpes à la mer d’Arkhangel... Jouissez longtemps de l’honneur que vous avez de la représenter; vous faites plus, vous lui ressemblez : le meilleur ministre est toujours celui qui fait aimer son maître. »


À cette correspondance indirecte de Voltaire avec Catherine se rattachent quatorze lettres adressées de Ferney au comte Alexis Romanovitch Voronzof, également empruntées aux archives de Moscou et récemment publiées dans les Archives Voronzof; elles se rapportent aux années 1760-1769; elles prouvent que Voltaire connaissait à la cour d’Élisabeth d’autres personnages qu’Ivan Schouvalof et qu’il était en relations avec l’entourage de Catherine II trois années avant de l’être avec l’impératrice elle-même. Dans les premières de ces lettres, il parle de son Histoire de Russie sous Pierre le Grand; dans les dernières, il fait des vœux pour que Joseph II et

  1. Les lettres du prince Dmitri au prince Alexandre Galitzine, insérées, ainsi que les deux suivantes, dans le t. XV de la Collection, sont surtout curieuses en ce qu’elles nous font connaître les idées qui avaient cours alors dans la partie la plus libérale de la noblesse russe sur l’émancipation des serfs. Ainsi le prince Dmitri était bien disposé à affranchir ses paysans, mais à la condition de conserver la propriété de toutes les terres. Il y a loin de là à l’acte émancipateur de 1861. C’est pourtant dans ces conditions si défavorables pour le paysan que fut accomplie, au commencement de ce siècle, l’émancipation des serfs par la noblesse allemande des provinces baltiques de la Russie, Le paysan de la Russie proprement dite a gagné à attendre.