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la Barre, de Calas et de Sirven, à joindre sa protestation en faveur des victimes à celles du monde civilisé? à ces conditions, Voltaire devenait son allié. Il mettait à sa disposition son activité épistolaire, son immense influence sur l’opinion européenne, et cette armée d’écrivains qui, malgré ses velléités d’indiscipline, manœuvrait sur un signe de lui. À ces conditions, Voltaire déclarerait la guerre aux confédérés de Bar, représentans du fanatisme catholique, aux Ottomans, champions du fanatisme musulman. Sans doute, il n’épousera sa querelle ni contre Frédéric II, ni contre Gustave III, car avec ces deux puissances il a des engagemens antérieurs : comme dans les négociations conduites par la diplomatie, il « excepte ses alliés. » Ce traité entre Voltaire et Catherine II n’a jamais été signé, nulle part on n’en retrouvera l’instrument; mais il existe caché sous les fleurs, dissimulé sous les complimens ingénieux et les traits d’esprit qui forment la trame de leur correspondance. Il a même été mieux exécuté que bien d’autres traités en tête desquels on a pris à témoin la sainte Trinité, et l’on ne voit pas que ni le souverain de Ferney, ni l’impératrice de Russie aient manqué à leurs engagemens. Dans ce commerce, Voltaire n’est pas le flatteur de Catherine II, car la flatterie est réciproque, et l’on ne trouve pas moins d’adulations spirituelles dans les lettres de la tsarine que dans celles du philosophe : « C’est s’immortaliser, écrit-elle à Voltaire, que d’être l’avocat du genre humain, le défenseur de l’innocence opprimée. Vous avez combattu les ennemis réunis des hommes, la superstition, le fanatisme, l’ignorance, la chicane, les mauvais juges. Il faut bien des vertus et des qualités pour surmonter ces obstacles. Vous avez montré que vous les possédez; vous avez vaincu. » Voltaire n’a pas la gaucherie emphatique de D’Alembert; il ne se livre point par excès d’enthousiasme pour Catherine II, comme Diderot; il n’aspire point à être « au nombre de ses chiens, » comme Grimm. Il est indépendant, car l’impératrice ne peut rien lui offrir, rien, sinon son concours pour le triomphe des idées. Ses flatteries en apparence les plus outrées ne sortent pas du ton habituel des complimens d’alors; leur spirituelle exagération les sauve de la platitude où tombent parfois certains correspondans de Catherine. Voltaire se connaît en « eau bénite de cour, » et la tsarine ne peut s’y tromper.

Les relations de Voltaire avec Catherine II furent bien plus unies, bien plus aisées qu’avec Frédéric. Il n’y eut ni empressement exagéré, suivi de rupture, ni petits soupers de Potsdam, ni aventure de Francfort. Frédéric et Voltaire étaient des contemporains : sans avoir le même âge, au début de leurs relations, ils étaient jeunes tous deux, tous deux ardens, impatiens, susceptibles; il était difficile qu’ils n’eussent pas quelque brouille de jeunes gens. Au contraire,