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regard; il espérait découvrir sur quelque point de l’horizon la barque de Williams et de Shelley, mais il n’en vit trace. Il fit aussitôt le tour du port. Tous les pêcheurs qui venaient de rentrer furent interrogés, mais aucun d’eux n’avait vu le Don-Juan. Toute la nuit suivante, il continua à pleuvoir et à tonner. Le lendemain se passa en vaines recherches, en vives inquiétudes. Le surlendemain, Trelawney courut à Pise, une dernière lueur d’espoir lui restait : des nouvelles pouvaient être arrivées de la Spezzia; il n’y trouva rien. Ne doutant plus d’un malheur, il se rendit chez Byron et lui fit part de ses appréhensions. En l’écoutant, celui-ci changea de couleur et ses lèvres tremblèrent; il comprit que tout espoir était vain. On expédia sur-le-champ un courrier le long du golfe de Gênes, jusqu’à Nice, à la recherche de la barque. Trelawney longea la côte à cheval pour l’examiner en tout sens, des promesses furent faites aux gardes-côtes et aux pêcheurs qui donneraient des nouvelles de la barque ou des passagers.

La fatale certitude ne vint qu’au bout de quelques jours. Le cadavre de Shelley avait été trouvé sur la plage de Viareggio. Il était lacéré, mutilé, en décomposition, mais encore reconnaissable. On trouva dans ses vêtemens un volume de Sophocle et de Keats. La dépouille de son malheureux compagnon avait été jetée à trois milles de là, près de Torre-Migliarino. On retrouva aussi à quatre milles plus loin le corps de l’enfant qui leur servait de mousse; il était presque réduit à l’état de squelette. L’implacable mer avait éparpillé ses trois victimes et ne les avait rendues qu’à demi rongées et broyées. Trelawney dut prendre sur lui d’annoncer la lugubre nouvelle aux deux veuves. Il s’achemina d’un cœur tremblant vers San-Terenzo. En approchant de Casa Magni, il lui sembla qu’un crêpe funèbre recouvrait ce paysage jadis si radieux. Jane et Mary l’attendaient dans un état d’agitation indicible, passant du désespoir aux plus folles espérances. La servante, en apercevant Trelawney, fit un grand cri. Mme Shelley, accourue, demanda seulement quelles étaient les nouvelles. Au silence de Trelawney elle comprit tout. Celui-ci renonce à décrire la scène qui suivit; il ajoute seulement qu’il se contenta d’envoyer aux deux malheureuses femmes leurs enfans, pensant que leur présence pourrait seule les consoler dans cette heure terrible. — La douleur de Byron, pour être moins violente, n’en fut pas moins profonde. Il perdait en Shelley le confident de ses plus hautes pensées, le seul ami dont il estimait les conseils et dont il écoutait la voix.

Lord Byron et Trelawney résolurent de faire à leurs amis de dignes funérailles et de les brûler à la manière antique. Rien ne fut négligé pour donner à cette cérémonie une grandeur et une simplicité