Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/566

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rares ne pouvaient ôter de dessus son cœur le poids immense qui l’oppressait ; une sensation d’isolement et d’abandon le reprenait toujours. Que lui manquait-il donc et que cherchait-il ? Il a trahi malgré lui le secret de cette souffrance dans ces stances écrites à Naples, qui peignent sa plus profonde mélancolie : « Le soleil est chaud, le ciel est clair, les vagues dansent rapides et brillantes ; les îles bleues et les montagnes de neige sont revêtues de la pourpre transparente du midi ; le souffle de la terre est une rosée de lumière qui s’épand autour de ses bourgeons humides. Seul je suis assis sur les sables au bord de la mer, l’éclair de l’Océan flamboie autour de moi, et un son s’élève de son mouvement mesuré. Combien doux il serait, si maintenant un cœur partageait mon émotion ! » Cette fatale et continuelle solitude le suivait partout. Ni le dévoûment de sa femme, ni la sympathie de Jane, ni l’admiration de ses meilleurs amis n’y remédiaient. Il ne rêvait ni la gloire, ni l’ivresse des sens. Qu’eût-il donc fallu pour assouvir cette âme insatiable ? Une autre âme capable du même délire que la sienne, consumée de la même soif de beauté et de vérité infinie, vouée aux mêmes tourmens et aux mêmes délices. Shelley était de ces natures exceptionnelles qui cherchent dans la femme la conscience la plus vive jointe à la passion la plus intense, et qui rêvent dans l’amour une réponse complète, active, palpitante à leurs aspirations les plus intimes. « Quelques-uns de nous, écrit-il à un ami, ont aimé quelque Antigone dans une existence précédente, et cela fait que nous ne trouvons de pleine satisfaction dans aucun lien terrestre. » Pour quiconque a pénétré dans les arcanes de la tragédie de Sophocle et a reconnu dans Antigone le plus haut degré de l’amour héroïque et conscient, ces paroles sont significatives. Qui ne sait que ces hardis chercheurs sont presque tous condamnés à une vaine poursuite et déclarent souvent à la fin de leur carrière qu’ils ont brûlé « pour un être impossible et qui n’existait pas. »

Il paraît cependant que Shelley rencontra son rêve vivant. Une passion profonde, mais qui n’eut rien de terrestre, vint traverser d’une lumière inattendue la dernière année de sa vie. Cet épisode peu remarqué, et sur lequel nous n’avons d’autres données que quelques poésies de Shelley, semble s’être passé tout entier dans un monde qui n’est pas le nôtre, tant les événemens extérieurs y sont secondaires, tant les sentimens y dépassent la réalité ; mais il n’en fut que plus réel pour ceux qui le vécurent, il n’en est que plus important pour l’histoire intime du poète. Cet amour étrange fut le précurseur de sa mort, comme ces demi-teintes mêlées de rose et d’opale qui précèdent le crépuscule dans le ciel radieux de la Méditerranée. Il fut introduit en 1821 auprès de la contessina