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une personne à la fois très simple et très remarquable, puisqu’elle a servi de modèle à la jeune fille dépeinte par le poète dans la plante sensitive. Ce dut être une de ces natures souriantes, heureuses, essentiellement féminines, impressionnables, pleines de tact, comprenant tout sans réflexion par une sorte de divination immédiate, et qui créent autour d’elles par leur seule présence une atmosphère de bien-être et d’harmonie.

Outre les Williams, lord Byron venait d’arriver de Ravenne à Pise pour y rejoindre la comtesse Guiccioli. Il avait loué le palais Lanfredini et y menait grand train. Les rapports de Shelley avec lui n’avaient cessé d’être ceux de deux grands esprits, totalement divers, absolument indépendans, mais qui s’estiment et trouvent dans l’échange de leurs pensées une excitation de leurs plus hautes facultés. À cette époque, l’auteur de Don Juan, déjà fatigué de ses lauriers de poète, commençait à chercher la gloire par l’action. Shelley par contre ne cherchait que la vérité dans la beauté. Sa modestie, son désintéressement, sa sérénité contemplative, lui donnaient une sorte de calme et de supériorité que l’autre eut toujours l’esprit de reconnaître, malgré son orgueil prodigieux et sa popularité croissante. Ils se jugeaient d’ailleurs fort librement. Si Byron suivait mal volontiers son ami dans ses rêveries métaphysiques, celui-ci désapprouvait l’inconstance de son esprit versatile et ce scepticisme, fruit d’une vie déréglée, dont il avait l’habitude de noircir le genre humain. Il se réjouissait de sa liaison récente avec la comtesse Guiccioli et y voyait son salut parce qu’elle l’avait arraché à son libertinage de Venise. Peu avant l’arrivée de Byron à Pise, Shelley était allé le voir à Ravenne et s’exprimait ainsi sur son compte dans une lettre à sa femme : « Lord Byron a grandement gagné de toute manière, en génie, en caractère, en vues morales, en santé et en bonheur. Sa liaison avec la Guiccioli a été pour lui un bénéfice inestimable. Il a eu de mauvaises passions, mais il semble les avoir vaincues et être devenu ce qu’il devrait être, un homme vertueux. » Plus loin nous voyons à quel point il admire son génie : « Il m’a lu un de ses chants inédits de Don Juan, qui est étonnamment beau. Cela le met non-seulement au-dessus, mais à cent pics au-dessus de tous les poètes du jour. Chaque parole est marquée au sceau de l’immortalité. Quoi que je fasse, je désespère de rivaliser avec lord Byron, et il n’y a personne d’autre avec qui il vaille la peine de lutter. » Cette modestie sans amertume que Shelley poussait jusqu’à l’abnégation de lui-même ne l’empêchait pas d’avoir le sentiment de sa valeur. Il sentait Byron inimitable dans la peinture de la passion et dans la création de certains types qui se gravent dans toutes les mémoires, mais il n’en avait