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n’étaient pas seulement les savans et les lettrés qui le connaissaient ; sa gloire avait franchi le cercle assez étroit des gens instruite, et elle était parvenue jusqu’à ceux même qui ne lisaient pas ses ouvrages. À Rome, on le montrait au doigt, on le suivait dans les rues, et, un jour qu’il entrait au théâtre, le peuple entier se leva pour lui faire honneur. Il n’était pas moins connu à Naples, où l’on nous dit qu’il avait frappé tout le monde par son air modeste, et que la foule l’appelait « la jeune fille. » Il voulut y être enterré, et son tombeau, que ses admirateurs venaient pieusement visiter, y conserva sa renommée. Nulle part il ne resta plus grand dans le souvenir et le respect du peuple qu’en cette ville, qu’il préférait aux autres, et dont il avait fait sa patrie d’adoption. Son nom y survécut à la ruine de l’empire et aux misères de l’invasion. Avec le temps, on cessa de savoir exactement ce qu’il était, mais on se souvint toujours de lui. Sur la réputation qu’il avait laissée, on s’imagina que ce devait être quelque grand personnage, et l’on en fit sans plus de façon un « duc de Naples. » Après avoir supposé qu’il gouverna cette ville de son vivant, il était naturel de croire qu’il veillait sur elle après sa mort : c’était d’ailleurs une ancienne opinion, et fort accréditée en Grèce et en Italie, que les morts protègent les lieux où ils sont enterrés ; on en vint ainsi très aisément à croire que Virgile, qui avait voulu reposer à Naples, devait être une sorte de défenseur du pays qui possédait son tombeau.

Il était donc tout à fait propre à y devenir un héros légendaire ; mais les légendes ne naissent pas toutes seules, et il faut quelque occasion qui les aide à se former. M. Comparetti montre qu’à Naples et dans l’Italie elles se rattachent souvent aux monumens antiques et sont une suite naturelle de ces sentimens de surprise et d’effroi qu’ils inspiraient aux ignorans. Si le moyen âge avait perdu la connaissance exacte des grands écrivains et débitait sur eux beaucoup de fables, il avait encore moins conservé celle des monumens du passé, épars en si grand nom. re sur le sol des villes anciennes. Il ne savait plus la destination réelle de ces temples et de ces palais en ruine, de ces colonnes, de ces statues, et comme il en ignorait l’histoire, il racontait à leur propos les plus étranges récits. Il était toujours prêt à leur attribuer des propriétés extraordinaires. La plupart d’entre eux lui semblaient des talismans magiques destinés à garantir la prospérité des villes et à protéger la santé ou la vie de leurs habitans. Cette idée, que l’existence des états est attachée à la conservation de certains objets sacrés, était fort ancienne. Rome avait cru fermement pendant sept ou huit siècles qu’elle ne serait jamais en danger de périr tant que les images des dieux pénates et les boucliers échancrés des Saliens seraient gardés dans le sanctuaire du temple de Vesta, Quand on bâtit la nouvelle Rome sur