Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie le poète comme on le lui avait montré. Il faisait des centons avec ses vers ; il tirait de son poème des exemples de beau langage, des figures de mots et de pensées, des curiosités scientifiques. Ce qu’il y trouvait le moins, ce qu’il ne songeait pas à y chercher, c’était la poésie. Le moyen âge n’avait pas autant perdu qu’on le prétend la connaissance et le goût de l’antiquité : il l’étudiait encore avec zèle, il l’admirait de confiance, mais il n’en avait plus le sens. Il n’est pas vrai de dire que la renaissance ait découvert les auteurs anciens ; on n’a jamais cessé tout à fait de les lire, seulement on les lisait sans les comprendre. Ce travail d’école qui s’était fait autour d’eux les avait obscurcis. Les commentaires pédans à travers lesquels on les voyait empêchaient de les apercevoir comme ils sont. « Ils ressemblaient au soleil, dit M. Comparetti, lorsque, traversant des nuées épaisses et pleines de vapeurs, il perd à la fois ses rayons et sa chaleur, et cesse d’éclairer, d’échauffer et de féconder le monde. » La renaissance n’a donc pas eu tout à fait à retrouver les auteurs anciens, puisque en réalité ils n’étaient pas perdus, mais elle nous en a rendu l’intelligence. — Comment y est-elle arrivée ? Par quel travail s’est préparée et accomplie cette révolution, dont la religion et la politique ont senti les effets, aussi bien que la littérature ; c’est ce que M. Comparetti explique avec beaucoup de finesse et de savoir.

Pour lui, le moyen âge se divise en deux parties distinctes. La première est la période latine, où les langues populaires sont encore dans l’enfance, où la raison est asservie à la foi, où la suprématie appartient aux clercs. Les clercs étudient l’antiquité, mais ils l’étudient à contre-sens. Ils y cherchent ce qui ne s’y trouve pas, ils l’aperçoivent à travers leurs formules et leurs préjugés, ils ont un faux savoir beaucoup plus pernicieux que l’ignorance. M. Comparetti soutient qu’aucun progrès ne pouvait s’accomplir par eux dans l’intelligence des grands écrivains antiques. Il ne veut donc pas qu’on prétende, comme on le fait, que Charlemagne fut l’auteur d’une sorte de renaissance : ce prince se contenta de fortifier l’enseignement ecclésiastique, c’est-à-dire cette science fausse qui ne faisait que rendre l’obscurité plus profonde ; il travaillait pour les clercs, et les clercs n’étaient pas capables d’arriver seuls à retrouver le sens de l’antiquité[1]. La renaissance ne date que du réveil de

  1. M. Comparetti est un grand ennemi de Charlemagne, qui ne lui semble être qu’un Allemand lourd et maladroit, et il est assez disposé à se moquer de lui, comme son compatriote Arioste-Ses qualités tant vantées ne le touchent guère, et il lui trouve, comme il dit, un assai antipatico puzzo di sacristia. Il est vrai qu’il reconnaît qu’il est pour lui un juge prévenu. « Je ne sais, dit-il, si en le traitant avec rigueur je ne cède pas aux sentimens que fait naître chez un Italien la faute commise par ce prince de donner un trop grand pouvoir temporel à la papauté, ce qui a été jusqu’à nos jours la plaie maudite de notre pays. »