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faut étudier case par case cet immense échiquier royal, ecclésiastique, féodal et municipal, où se rencontrent sur certains points des libertés qui dépassent nos libertés modernes, sur d’autres l’asservissement complet au pouvoir absolu, et à la veille même de la révolution la servitude mitigée des temps féodaux. En mettant en pleine lumière toutes ces dissonances, les érudits de nos départemens rendent un service qui est loin d’être apprécié à sa juste valeur. On ne soupçonne pas, en dehors des hommes spéciaux, tout ce que leurs livres renferment d’indications nouvelles, de rectifications, et quel profit il y aurait pour l’histoire générale, pour celle des faits et des institutions, à réunir, dans un même ensemble et sur un même sujet, les résultats de leurs travaux dispersés au hasard dans une infinité de recueils. Nous prendrons pour exemple une question qui préoccupe aujourd’hui les esprits sérieux et passionne les partis, celle de l’instruction publique.

Nous entendons répéter chaque jour, même par des lettrés, que le moyen âge a systématisé l’ignorance, que le clergé abêtissait les populations pour les dominer, que les nobles ne savaient pas même signer leur nom et qu’ils s’en faisaient honneur. Les recherches de M. de Beaurepaire sur l’instruction publique dans le diocèse de Rouen, l’Histoire des écoles de Montauban du Xe siècle au XVIe et quelques autres monographies locales montrent, sans parler de Du Boulay et de Crévier, ce qu’il en est de ces assertions. Si les bourgeois et les paysans ne savaient rien, c’est qu’ils ne voulaient rien apprendre, car l’ancienne France ne comptait pas moins de 60,000 écoles; chaque ville avait ses groupes scolaires, comme on dit à Paris; chaque paroisse rurale avait son pédagogue, son magister, comme on dit dans le Nord. Au XIIIe siècle, tous les paysans de la Normandie savaient lire et écrire ; sur cette terre classique du plumitif, ils portaient une escriptoire à leur ceinture, et bon nombre d’entre eux n’étaient pas étrangers au latin. Avant 89, il n’existait pas moins de dix-neuf villes d’universités où se pressaient de nombreux élèves. Les nobles, pas plus que les vilains, n’étaient hostiles au savoir et aux lettres. Ils se sont associés d’une manière brillante au mouvement poétique du Midi : témoins Bertrand de Born, Guillaume d’Aquitaine, Bernard de Ventadour. Les premiers chroniqueurs qui aient écrit en français, Villehardouin et Joinville, sont sortis de leurs rangs, et il est inexact de prétendre qu’ils ont abandonné les magistratures au tiers-état, parce qu’ils étaient complètement étrangers aux études de droit, attendu qu’en 1337 les enfans des plus grandes familles suivaient assidûment ces études à l’université d’Orléans. Quant aux actes qu’ils n’auraient pas signés, sous prétexte que leur qualité les dispensait d’apprendre à écrire, ce qui serait, dit-on, constaté dans ces actes par les tabellions qui