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philologie française. L’Ecole des chartes, véritable pépinière de bénédictins laïques, marche toujours en tête du mouvement, et son directeur actuel, M. Jules Quicherat, peut à bon droit réclamer une large part d’initiative dans la renaissance historique, archéologique et philologique à laquelle nous assistons aujourd’hui.

Parmi les sociétés récemment fondées à Paris, il en est une qui mérite entre toutes les plus vives sympathies et les félicitations les plus sincères : nous avons nommé la Réunion des officiers de terre et de mer. Ainsi que le dit le règlement, cette réunion a pour but de développer le goût de l’étude dans l’armée, d’y répandre des connaissances utiles et de resserrer entre les officiers de toutes armes « les liens d’une cordiale camaraderie. » Elle est placée sous la présidence d’un officier général ou supérieur désigné par le gouverneur de Paris, et elle ne néglige rien de ce qui peut élever l’instruction technique et pratique non-seulement de ses membres, mais de tous ceux, chefs ou soldats, qui sont appelés à servir leur pays. Depuis le mois d’octobre 1871, elle publie un bulletin qui paraît toutes les semaines, et dans lequel elle insère les travaux qui lui sont adressés par des officiers, lorsque sa commission « les reconnaît intéressans ou utiles pour l’une ou l’autre des deux armées, lorsqu’ils ne renferment rien de contraire à la discipline ni au respect de l’autorité » et qu’ils ont été l’objet d’une décision ministérielle. Elle prend en outre sous son patronage, en y mettant l’apostille : publication de la Réunion des officiers, tous les ouvrages militaires qui lui paraissent dignes d’être recommandés. Il faut avoir parcouru quelques-uns de ces ouvrages, qui sont au nombre de 108, et la collection du Bulletin, pour se faire une idée de la somme énorme de travail et de talent que nos officiers ont dépensée en six ans et de la portée de leurs études. Ils ont analysé, traduit, commenté les publications militaires et les journaux spéciaux qui paraissent dans toute l’Europe. L’organisation générale des armées, les réformes et les perfectionnemens que l’expérience de la dernière guerre y a introduites, l’artillerie, la tactique de l’infanterie et de la cavalerie, les hôpitaux, les ambulances, l’administration, la topographie, tout est étudié au point de vue de la pratique, du combat, comme disent les Allemands. L’histoire de la guerre de 1870, histoire navrante, mais souvent glorieuse jusque dans sa tristesse, a été aussi de la part des membres de la Réunion l’objet de remarquables travaux, et puisque le sort des batailles se décide aujourd’hui par la science autant que par le courage, nous pouvons attendre sans crainte les éventualités de l’avenir[1].

  1. Le Bulletin de la Réunion des officiers contient aussi quelques études sur les anciennes armées. Il y a là beaucoup à apprendre, car nos historiens contemporains, à force de répéter qu’on avait abusé du récit des batailles, n’en ont plus parlé autrement que par une simple mention. Nous avons fini par ne plus rien savoir de nos fastes militaires, et notre ignorance nous a coûté cher. Mieux renseignés, nous aurions été plus défians et nous n’aurions point couru « d’un cœur léger » au-devant de la défaite, car nous nous serions souvenus que nos anciens revers s’expliquent avant tout par notre manque de prévoyance, l’infériorité de notre armement et la négligence des détails. Ainsi les Anglais, au moyen âge, se servaient d’arcs qui lançaient huit ou dix flèches à la minute, quand nous nous servions d’arbalètes qui tiraient dix fois moins vite et qu’il fallait tendre avec des mécaniques. Quand nous n’avions que des fusils à mèche, l’ennemi avait des fusils à silex. La moitié de notre infanterie n’avait encore que des piques, lorsque toutes les infanteries avaient des mousquets. Nous avons été les derniers à remplacer les boîtes à poudre et les charges à la main par des cartouches, les baguettes de bois par les baguettes de fer, les fusils à pierre par le système à percussion, etc.