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Toutefois cette situation n’est ni sûre ni brillante. Nos voisins, par l’organe de M. John Paget, ne nous ménagent pas les avertissemens bienveillans. La flotte française, dit-il, n’est pas à la hauteur du rang de la France dans le monde. C’est une vérité pénible à entendre; mais on peut répondre à ce critique compétent qu’au moment même où il nous tenait ce langage les progrès de la marine britannique étaient déjà dépassés à l’étranger. Dans cette course, chaque gouvernement tient la corde à son tour, mais la lutte coûte plus cher qu’elle ne rapporte, et la France, à la suite d’une guerre désastreuse, devait se tenir à l’écart; les aventures ne sont permises qu’aux riches et aux heureux.

L’exemple de la France est bon à suivre surtout dans des royaumes comme le Danemark, la Suède et la Hollande, où les ressources financières de l’état sont médiocres. Ils n’ont pas manqué de s’y conformer, et ils se sont bornés à préparer leurs moyens de défense en consultant leur propre situation plus que la grandeur et la force de leurs antagonistes présumés. Dans cette proportion, ils sont dès à présent utilement armés. C’est ce qu’il nous reste à exposer.


III.

Le 9 mai 1864, une escadre alliée, composée de navires autrichiens et de canonnières prussiennes, fut rencontrée par des bâtimens de guerre du Danemark ; un combat s’ensuivit et fut livré à la hauteur d’Helgoland. Cette île appartient à l’Angleterre, qui s’en est emparée en 1807, l’année même du bombardement de Copenhague. Comme elle commande les embouchures de l’Elbe et du Weser, les Prussiens la convoitent et voudraient l’annexer; mais il est plus difficile de l’enlever aux Anglais que le Slesvig à un petit peuple. La question de l’achat d’Helgoland a donc été fort agitée dans le parlement de Berlin, à l’époque où l’on y a décidé la création de la flotte. Des négociations ont-elles été réellement entamées? On l’a dit. Dans tous les cas, elles n’ont pas encore abouti, ou peut-être le port militaire de la Jahde a-t-il été décidément jugé suffisant.

Au mois de mai de l’année 1864, ce port n’existait pas encore, et l’escadre alliée fut réduite à se réfugier dans les eaux anglaises de l’île. Les forces danoises comprenaient deux frégates et une corvette; elles avaient pour chef un capitaine de vaisseau, M. Suenson : cet officier supérieur était monté sur le Niels-Juel. Le principal bâtiment autrichien, à bord duquel avait arboré son pavillon M. Tegethoff, commandant des forces alliées, s’appelait le Schwartzemberg. Cette frégate portait 50 canons et 540 hommes d’équipage. A peine en vue, le capitaine Tegethoff la lança dans la ligne ennemie,