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bien dirigés, que de l’aborder avec moins de risques à la faveur des ténèbres. On aime à voir ce qu’on fait, et surtout ce qu’on fait si galamment.

Mais ce n’est pas seulement en France, et par la voix de marins dont la position est très élevée, que ces idées se produisent; elles ont également cours dans les rangs de la marine britannique et sont exposées dans des écrits très répandus et très appréciés. L’une de ces publications, précisément celle de M. John G. Paget, tend à la suppression du fort central et de son blindage : « Nos vieux cuirassés, dit-il, courent plus de risques dans le combat que des navires sans cuirasses. La protection latérale ne sert qu’à favoriser l’éclatement des obus dans l’intérieur de la batterie, avec quel effet destructif, nous n’avons pas besoin de le dire. »

Ainsi, pour ne citer que les transformations principales, on a passé des ceintures cuirassées aux monitors qui ont été couverts de fer, — des tourelles aux batteries centrales fortifiées, — des batteries centrales à la suppression de la mâture, et maintenant qu’on est arrivé au maximum du blindage, on s’aperçoit qu’il ne reste plus qu’une chose à faire : le décuirassement! Que de chemin l’on a parcouru et de quelle quantité d’or a été pavée cette route qui tourne maintenant en un cercle ! La discussion s’est établie en Angleterre sur les conclusions suivantes, posées par le commander Gérard Noël, de la marine royale britannique, qui a reçu pour son travail une récompense décernée par un club d’officiers R. N. : renoncer à protéger autre chose que la flottaison, l’entourer d’une ceinture cuirassée de dix pieds de large, soit quatre pieds au-dessus et six pieds au-dessous de la surface de l’eau. Ce revêtement, appuyé sur un matelas de bois très dur et derrière lequel on disposerait les soutes à charbon, mettrait à l’abri les parties vitales, soit : les machines, le gouvernail, qui dans le système actuel des constructions navales sont insuffisamment protégés. De leur action dépend dans un combat l’existence même du navire qui, faute de pouvoir évoluer rapidement, serait livré aux coups des éperons et des torpilles. Il faudrait qu’il eût toujours une vitesse possible de quatorze nœuds, en vue d’éviter au besoin ces deux terribles instruments de guerre, de prendre chasse devant une force supérieure ou de poursuivre un bâtiment en fuite. Il faudrait aussi défendre l’avant et l’arrière par une cuirasse légère, car M. le commander Gérard Noël est persuadé que le rôle actif appartiendra toujours au tir de travers dans les combats où l’on emploiera l’éperon. En résumant plus haut la manœuvre de deux vaisseaux qui courront l’un sur l’autre, nous avons donné la raison de cette opinion. L’auteur dit : « malheur au navire qui, désemparé dans la première passe, en tournant moins vite que l’ennemi, lui prêtera le flanc ! il sera coulé d’un seul coup.»