Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 19.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la fois. Ce projectile peut dévier de sa route; or les minutes sont des siècles dans un combat naval, et quiconque manque son but n’est point manqué par son adversaire. Quand, sur les anciens vaisseaux de cent à cent trente canons, on envoyait des bordées de cinquante à soixante boulets, un certain nombre arrivaient toujours à destination; mais dans l’émotion et la fumée du combat, sur un navire en mouvement, le chef de pièce, visant à travers une ouverture très-étroite, sur un but mobile, est exposé à mal pointer et à laisser intact le bâtiment désigné à ses coups.

Donc on en revint aux batteries de flanc ! Nouveau revirement, nouveau changement, nouvelle dépense! Cependant on tenait toujours à abriter toute l’artillerie et tous les artilleurs par un blindage. Au moment de replacer, entre les tourelles, des canons en batterie sur les flancs des navires, on se demanda comment les couvrir? comment les garantir des coups de l’ennemi? On imagina de construire en fer, au milieu du bâtiment, un réduit cuirassé qu’on appela fort central. On y plaça jusqu’à dix-sept canons de gros calibre battant des deux côtés du vaisseau, sans changer la position des tourelles qui peuvent tirer dans la ligne longitudinale, c’est-à-dire à l’avant et à l’arrière. Seulement toute cette masse de fer surchargeait les bâtimens. D’un autre côté, l’artillerie suivait pas à pas les progrès du blindage; elle acquérait une telle supériorité qu’aucune des cuirasses usitées ne lui opposait plus de résistance insurmontable. Si donc on persistait dans la résolution de garantir tous les canons et tous les hommes, il fallait multiplier les plaques de fer sur les tourelles et sur le réduit central, il fallait en augmenter l’épaisseur, et dès lors on se voyait obligé de diminuer la résistance des cuirasses dans les autres parties du navire. Ainsi découvertes, ces parties quelquefois vitales allaient offrir aux coups de l’ennemi des faiblesses dangereuses. Cette considération conduisit le génie maritime à une autre transformation et à d’autres prodigalités qui consistèrent dans la suppression de la mâture.

Jusqu’aux dernières expériences, on avait conservé les voiles, qui furent si longtemps la gloire des marins et l’honneur des vaisseaux. L’Angleterre, qui n’a cessé de mener toutes les flottes du monde dans la carrière du progrès et d’appliquer la première toutes les inventions utiles et même inutiles, avait peine à renoncer à la forte élégance de sa marine : à ces mâts, à ces huniers, à ces agrès, qui faisaient l’ornement et la grâce de ses anciens navires, et que les matelots du royaume-uni manœuvraient avec tant de hardiesse et de supériorité. On disait que la voile, alliée à la vapeur, était toujours utile pour appuyer le navire, surtout dans les mauvais temps; mais le succès des monitors, transformés et agrandis pour la navigation, l’épreuve heureusement soutenue de leurs qualités