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croisière lointaine, avait un poids moins lourd de canons et de cuirasse, une machine à vapeur très puissante et de grands espaces réservés pour l’approvisionnement du charbon. Partout on a multiplié les machines à vapeur : pour le gouvernail, pour les canons, pour les tourelles, les approvisionnemens et les munitions; on en a placé deux principales à bord pour le même office, celui d’imprimer le mouvement au navire. Chaque pays a rivalisé de zèle inventif, et il semble qu’on s’y serait cru déshonoré, scientifiquement parlant, si l’on n’avait fourni son contingent au bouleversement général, et si l’on n’avait fait subir aux flottes des remaniemens d’une utilité souvent contestable, dont les conséquences les plus claires ont été de grever les budgets.

Les premiers bâtimens cuirassés, construits pour la navigation et le combat, étaient entourés d’une simple ceinture de fer peu épaisse, mais suffisante pour résister à l’artillerie de l’époque. La France avait l’honneur de l’invention, qui fit la juste popularité de M. Dupuy de Lôme. C’était en 1860. Vint l’épisode de la sécession aux États-Unis. La marine du nord fut créée spécialement pour les besoins de la guerre; elle avait pour mission de bloquer les ports du sud, d’en écarter surtout les armes, les munitions et les approvisionnemens, d’emporter les forteresses, de forcer l’entrée des fleuves et de détruire les bâtimens ennemis. Pour remplir ce devoir, les arsenaux et l’industrie construisirent des navires d’un nouveau modèle qu’on appela monitors. Ces bâtimens devaient offrir peu de prise aux batteries adverses, porter une cuirasse suffisante pour résister aux gros projectiles lancés de terre, être armés eux-mêmes d’une artillerie très puissante. Les conditions de ce programme ne pouvaient être observées qu’aux dépens des qualités nautiques. A l’origine, les monitors étaient donc incapables de naviguer hors des eaux calmes; mais, revêtus d’une armure complète couvrant le pont et protégeant l’artillerie, ras sur l’eau, presque comme des radeaux, ils rendirent de grands services. Des marins se signalèrent à bord de ces navires inusités. Des batteries du sud furent réduites au silence, le blocus fut rigoureusement maintenu, la contrebande de guerre sévèrement réprimée. A la paix, cette sorte de navires avait conquis sa place dans les flottes militaires. Ils avaient leur spécialité, mais on les en détourna pour leur donner de plus hautes destinées. On voulut en faire même des bâtimens de croisières, dont le rôle est de se transporter rapidement dans toutes les parties du monde, de naviguer et de combattre dans toutes les mers, par tous les temps. Or le problème à résoudre était à peu près insoluble. Pour marcher et combattre par tous Les temps, la voile semblait alors presque aussi importante que le moteur à vapeur, d’où découlait la nécessité de conserver