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même est rejeté au second plan par un nouveau navire, le Duilio, frégate lancée au mois d’avril dernier par l’Italie, qui ne s’est pas encore consolée de la bataille de Lissa. Après avoir vendu le matériel cuirassé, trop vite construit, qui avait alors si mal servi son courage, elle a fait des efforts surhumains pour agrandir sa marine, en consultant plutôt ses aspirations que ses finances. Elle est parvenue à posséder le plus grand et le plus fort type de navire connu. Ce modèle l’emporte sur tous les bâtimens actuels de la flotte prussienne. C’est une leçon qui ne peut être perdue pour les petits états dont la marine est à créer. La Prusse décidément ne jouit pas encore des faveurs de Neptune. Rome a l’avantage sur Berlin dans cette course à la mer, car le navire italien dont nous parlons, bien conduit et bien équipé, battrait probablement le grand Kaiser même, le vaisseau-empereur, réduit aujourd’hui à l’état de satellite dans les flottes où des bâtimens anglais, italiens et le vaisseau russe Pierre-le-Grand sont des têtes de colonnes.

Donc, si par impossible le gouvernement d’un état secondaire était mis en possession du crédit nécessaire pour la création d’une grande flotte, il se dirait : Par où commencer, et comment finir? L’Angleterre et la Russie, seules parmi les grandes puissances, pourraient répondre à cette question : l’Angleterre, parce qu’elle est riche, la Russie, parce qu’elle dispose au gré du tsar des revenus publics. Elles répondraient donc: « Par de l’argent et par des essais.» Hors de la marine, on ne peut se faire une idée de la confusion qui existe dans l’art des constructions navales. L’invention des bâtimens cuirassés et l’accroissement simultané de la puissance de l’artillerie ont jeté dans les esprits un véritable désordre. Le champ des expériences étant ouvert, les inventeurs s’y sont précipités avec une ardeur extrême. Les propositions abondent, les objections se multiplient, les x s’entre-choquent, lancés par les ingénieurs d’une frontière à l’autre, et l’imagination, superfluité proscrite en mathématiques, semble avoir réformé ses allures irrégulières pour pénétrer dans le domaine des savans. Au fond, elle est toujours la folle du logis, et l’on sent son influence dans les raisonnemens les plus hérissés de chiffres. En Angleterre, où la flotte ressemble, dit-on, à une carte d’échantillons, on a construit quantité de navires d’après des hypothèses politiques plus ou moins hasardées. Tel bâtiment a été destiné à opérer sur les côtes de France, tel autre prévu pour une guerre en Amérique. Celui-ci fut construit en vue d’agir sur la Baltique, celui-là dans la Méditerranée. L’un avait un grand tirant d’eau et des bords très élevés au-dessus de la mer, l’autre enfonçait beaucoup moins profondément sa carène au-dessous de la surface liquide. Le pont du troisième s’élevait à peine de quelques pieds sur l’élément qui le portait. Tel, créé pour une