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avec indifférence, ce sera fini. En tout cas, ma chère, débrouillez-vous ! Seulement acceptez le conseil un peu brutal d’un vieux soldat. Mme Chandor va vous tomber sur les bras presque aussitôt que ma lettre : mettez-la poliment à la porte, comme il convient. Embrassez Loïc ; moi, je me prosterne à vos pieds. »

« Général du Halloy. »

« P. S. — Votre tante va bien. Elle m’écrit tous les jours des volumes, seize pages compactes : je n’ai jamais eu de chance ! »


Loïc vit sa femme pâlir en lisant la lettre. Roberte la mit dans sa poche d’un air indifférent. Il n’osa pas lui demander de quoi il s’agissait. Le soir, elle se retira de meilleure heure que de coutume. Il alla doucement écouter à la porte de sa chambre : elle pleurait. Que contenait donc cette lettre qu’elle avait reçue ? Le lendemain matin, Roberte appela la fille qui les servait.

— Il viendra aujourd’hui ou demain une visite pour monsieur le marquis, dit-elle. Le médecin ne veut pas qu’il se fatigue. C’est moi que vous préviendrez.

Elle ne se trompait pas. Mme Chandor parut dans l’après-midi ; selon la consigne reçue, la femme de chambre vint avertir Roberte qu’on la demandait. Loïc, qui l’observait depuis le matin, la vit de nouveau pâlir comme au reçu de la lettre. Roberte pria son mari de l’excuser, et, calme en apparence, elle se dirigea vers le salon où l’on avait dû introduire sa rivale. C’était bien Norine, toujours belle et gracieuse. Au bruit des pas, elle voulut s’élancer ; à la vue de la marquise elle resta immobile, stupéfiée.

— C’est mon mari que vous voulez voir, n’est-ce pas ? dit Roberte d’une voix saccadée.

— Madame…

— Vous ne le verrez pas ! Vous n’auriez pas osé venir, si vous aviez su me rencontrer. Il est donc inutile que vous prolongiez votre séjour ici. M. de Bramafam ignore votre arrivée : il l’ignorera toujours.

— En effet, madame, si j’avais su que vous étiez ici, je me serais contentée d’écrire à M. de Bramafam. Cependant, puisque je suis entrée dans cette maison, vous voudrez permettre que j’instruise de ma présence la personne à qui ma visite s’adresse ; nous ne sommes des enfans ni les uns ni les autres : vous devez comprendre qu’il me sera facile de voir M. de Bramafam tôt ou tard. Ainsi donc…

Roberte se tenait devant la porte de la chambre. — Vous ne passerez pas ! dit-elle. J’ai reconquis mon mari : j’entends bien ne pas le perdre une seconde fois ! Où étiez-vous pendant qu’il