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donc, plus profond tous les jours, entre ces deux êtres si bien faits pour se comprendre et pour s’aimer.

Un soir, Mme Prémontré avait voulu parler de Loïc.

— Je vous en prie, ma tante, lui dit froidement Roberte, que ce nom ne soit jamais prononcé entre nous.

Afin de distraire l’esprit de sa nièce, Mme Prémontré reprit bientôt ses habitudes d’autrefois. On l’adorait dans ce hameau de la Birochère et dans les paroisses environnantes. De tout temps, elle s’était fait un bonheur et un devoir de visiter les malades et les pauvres : ceux qui souffraient trouvaient en elle un secours qui ne se faisait jamais attendre. Il y a des infortunes égoïstes se renfermant en elles-mêmes et prenant l’humanité en haine farouche. Les grandes âmes blessées se plaisent à la charité : c’est leur généreuse revanche contre la destinée qui les frappe. Henriette était de celles-là. Que de fois elle était partie dès l’aube, emportant des médicamens, de l’argent et du pain ! Elle voulait recommencer avec Roberte ces étapes de dévoûment et de bonté.

Chaque semaine, les deux femmes montaient dans un coupé et s’en allaient à Pornic, à Bourgneuf, à Beauvoir, pour ne revenir que dans le milieu de la journée. D’ailleurs elles ne se quittaient jamais. Si Roberte n’avait pas été insensible aux choses extérieures, elle aurait remarqué un changement dans la façon d’être de sa tante. La tendresse de Mme Prémontré s’augmentait d’une sorte de prévenance craintive, car plus le temps marchait, plus Mme Prémontré se confirmait dans cette idée qu’ayant fait le mal, elle devait le réparer ; mais il ne fallait rien brusquer, procéder doucement et éviter la moindre allusion au but poursuivi. Le hasard se chargea d’amener l’occasion que cherchait Henriette. Les journaux qui arrivaient à la villa restaient toujours sous bande, non dépliés. Un matin, Roberte prit distraitement la feuille qu’on venait d’apporter, et jeta les yeux sur la première page :

— Tu es donc bien curieuse d’apprendre les nouvelles ? lui demanda Mme Prémontré en souriant.

Elle vit au même instant sa nièce pâlir, et tomber assise la tête entre ses mains :

— Grand Dieu ! qu’as-tu ?

Comme Roberte ne répondait pas, Henriette saisit le journal, et le parcourut rapidement des yeux. Elle ne tarda pas à tout comprendre. A la deuxième colonne, sous le titre Correspondances étrangères, était imprimée cette ligne : « L’empereur d’Autriche a reçu hier en audience privée le marquis Loïc de Bramafam. »

— Tu l’aimes toujours ? s’écria Henriette.

Roberte se dressa brusquement.