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contre cette pensée. Le seul coupable, c’était le mari adultère, c’était Loïc.

— Roberte, ma fille bien aimée, je t’en supplie, calme-toi ! dit-elle à travers ses larmes, qui coulaient malgré elle.

— Ne me demandez pas un calme impossible ; ah ! que vos conseils étaient justes, ma tante, et comme vous aviez bien su prévoir les hontes et les amertumes qui m’attendaient I Si je ne vous avais pas écoutée, je me serais abandonnée à la tendresse menteuse de cet homme, et celui qui est capable de me trahir au bout de deux mois m’eût aussi bien trahie au bout de deux ans. Je comprends toutes vos souffrances maintenant. Vous avez passé par ces épreuves, et je me demande encore si vous n’étiez pas plus à plaindre que moi. Rien ne doit être plus affreux que de se rappeler le bonheur disparu dans les jours de douleur : moi du moins je n’ai pas de joies envolées dont je puisse me souvenir, et je n’ai pas à pleurer un paradis perdu 1

En voulant absoudre sa tante, Roberte la condamnait : Mme Prémontré avait été trahie, elle aussi ; mais enfin elle avait été aimée tandis que Roberte subissait la trahison sans avoir eu l’amour. Elle ne put rien ajouter : Loïc revenait.

— Monsieur, dit la marquise, quand elle l’aperçut, je vous rends votre liberté et je reprends la mienne ; je suis veuve. Demain nos hôtes quittent ce château ; jusque-là, nul ne devinera rien. Quand ils se seront éloignés, je partirai avec ma tante, j’irai loin de vous, et vous serez délivré de moi.

— Roberte, par pitié…

— Je ne suis plus votre femme. A vous de faire en sorte que le monde ne soupçonne pas la vérité, si vous tenez à son opinion. Faites un voyage de plusieurs années, enfin inventez ce qu’il vous plaira : ce que je veux, c’est qu’il n’y ait plus rien de commun entre nous.

— Roberte, ma fille, tu l’aimes, tu pardonneras, s’écria Mme Prémontré, je t’en supplie, ne me condamne pas au désespoir de te voir malheureuse !

— Je ne serai pas malheureuse, puisque je vivrai avec vous, ma tante. Ne me dites plus rien, ma volonté est inflexible. M. de Bramafam ne m’aime pas, puisqu’il en aime une autre. Je n’entreprendrai pas une lutte qui me révolte. Cette femme est entrée dans ma maison pour me voler mon mari ; elle l’a pris : qu’elle le garde !

L’âpre résolution que la marquise mit dans ces paroles fit comprendre à Loïc et à Mme Prémontré qu’une résistance était inutile. Tout se passa comme Mme de Bramafam l’avait décidé. Le lendemain, après le départ des hôtes du château, Roberte monta en